Le paysage doit-il être « protégé » ? (… en dehors des sites classés et inscrits)

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La photo mystère

Il subsiste dans beaucoup d’esprits, l’idée que le paysage doit être avant tout l’objet de « protection », de « préservation ». Cette vision conservatrice s’explique par le poids de l’histoire : les politiques publiques du paysage n’ont longtemps concerné que des espaces restreints - emblématiques ou menacés - dont on voulait sinon arrêter, du moins contrôler l’évolution. Elle marque encore aujourd’hui la plupart des législations qui régissent l’organisation de notre espace (dans les codes de l’urbanisme, de l’environnement, rural, forestier et, bien sûr, du patrimoine). Pourtant, une évolution récente des textes de droit (d’inspiration internationale) contredit cette vision figée, prenant en compte le paysage comme une relation essentiellement dynamique.

<infographie594903822|center>Balcons nord du Canigó depuis Eus : paysage à protéger, à gérer ou à aménager ? © Florian Chardon

Le 13 août 1861, Napoléon III protégeait, par décret, les « séries artistiques » de Fontainebleau qui avaient servi de modèle aux tableaux des peintres de Barbizon. En 1906, le député Camille Beauquier faisait voter la loi « sur les monuments naturels de caractère artistique ». Imparfaite, puisqu’elle subordonnait la protection au consentement des propriétaires, cette loi sera complétée le 2 mai 1930 par la loi sur les sites « de caractère artistique, historique, pittoresque, scientifique ou légendaire » ; ce texte, bien que presque inchangé neuf décennies plus tard, a néanmoins permis des approches significativement modifiées : on ne classe plus aujourd’hui des curiosités ponctuelles, mais des ensembles de plusieurs milliers d’hectares.

Ce siècle et demi d’approche patrimoniale du paysage explique largement que la vision de celui-ci s’attache avant tout à la protection d’un « tableau ».

De fait, dans les codes où est mentionné le paysage, ce mot est le plus souvent accompagné des verbes « protéger », « conserver » ou « préserver », même si ces derniers sont presque systématiquement assortis du terme « mise en valeur » qui en nuance la portée trop strictement fixiste :

  • le code forestier cite le paysage dans son article L. 221-6 sur les missions de l’ONF parmi lesquelles : « la protection, la réhabilitation, la surveillance et la mise en valeur des espaces naturels et des paysages » ;
  • le code rural, dès son article L. 1, dispose que « La politique en faveur de l’agriculture a pour finalités (…) d’assurer à la population l’accès à une alimentation (…) produite dans des conditions favorisant l’emploi, la protection de l’environnement et des paysages ». Plus précisément, la politique d’aménagement rural définie à l’article L. 111-2 devra notamment « 9° Assurer la mise en valeur et la protection du patrimoine rural et des paysages » ;
  • dans le code du patrimoine, les « sites patrimoniaux remarquables » sont définis dans l’article L. 631 comme des espaces « dont la conservation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public » ;
  • le code de l’urbanisme comporte un nombre important de dispositions relatives au paysage, là encore, dans une acception souvent perçue comme conservatrice. L’article 101-2 dispose que « l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise à atteindre : (…) c) Une utilisation économe des espaces naturels (…) et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ». Pour ce qui est du schéma de cohérence territoriale (SCoT), les articles L. 141 et suivants stipulent que leur projet d’aménagement stratégique « définit les objectifs de développement et d’aménagement du territoire (…) en respectant et mettant en valeur la qualité des espaces et des paysages ». Quant à leur document d’orientations et d’objectifs, il doit reposer notamment sur « la préservation et la valorisation des paysages, de la biodiversité (…) des espaces naturels, agricoles et forestiers ».

On note toutefois une inflexion quand ce même code traite des plans locaux d’urbanisme (PLU) : l’article L. 151-5 sur leur « projet d’aménagement et de développement durable » indique que celui-ci fixe « les orientations générales des politiques d’aménagement, d’équipement, d’urbanisme, de paysage, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation (…) des continuités écologiques ». Les termes « paysage » et « protection » sont, cette fois, clairement dissociés.

Le code de l’environnement est encore plus net à cet égard : la loi du 6 août 2016 y a introduit un article L. 350-1 C qui définit des « objectifs de qualité paysagère » comme des « orientations visant à conserver, à accompagner les évolutions ou à engendrer des transformations des structures paysagères, permettant de garantir la qualité et la diversité des paysages à l’échelle nationale ».

C’est également cette loi qui introduit dans le code de l’environnement la définition du paysage : « partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations dynamiques » qui figure dans la Convention européenne du paysage signée à Florence le 20 octobre 2000.

Dès lors, la réponse à la question posée devient claire : il ne s’agit pas seulement de « protéger » le paysage, mais aussi, comme nous y invite la convention de le « gérer » et de l’« aménager ».

Tout le reste relève d’une certaine inertie juridique que l’évolution des esprits permettra de corriger progressivement dans l’ensemble des codes.

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