Focus sur … "Les Grands sites de France, la force fédératrice du paysage au cœur de l’action des territoires"

Une politique qui s’est structurée depuis ses prémices il y a 50 ans

Aven d’Orgnac, Baie de Somme, Cap Fréhel, Pointe du Raz, Montagne Sainte-Victoire, Massif du Canigou, Pont du Gard, Roche de Solutré, Colline de Vézelay : ces noms sont évocateurs du patrimoine commun de notre pays. Ces paysages d’exception, qui attirent de nombreux visiteurs, ont un point commun : leur grande valeur patrimoniale, attestée par la présence systématique d’un site classé 1, et surtout ils se sont engagés dans une démarche originale imaginée au milieu des années 1970, mais qui s’est affinée puis concrétisée très progressivement.

Il s’agissait alors de répondre à des urgences locales, liées à la forte fréquentation de ces sites renommés, souvent sur des communes rurales, dont les habitants se sentaient envahis, et qui se trouvaient banalisés par des aménagements sans qualités. L’objectif était de trouver des réponses, d’expérimenter, de réparer, de réaliser des aménagements d’accueil, de canaliser les flux touristiques, etc. Les résultats de cette première phase n’ayant pas toujours été à la hauteur des espérances, s’est précisée à la fin des années 1980 la nécessité de proposer, dans le cadre d’une contractualisation avec l’État et les différents partenaires, de véritables projets de territoire.
Ceux-ci sont fondés sur l’accueil des visiteurs, la protection du patrimoine paysager, avec un souci de développement compatible avec le respect du Grand site, géré par des structures solides associant les acteurs locaux et les habitants. Ce seront les « opérations Grand Site » (OGS), formalisées à partir des années 1980-90.

Une structure nationale d’animation, le Réseau des Grands Sites de France (RGSF), est créée en 2000 et devient un acteur et partenaire incontournable. Enfin, en 2002, l’État dépose la marque « Grand Site de France ® », qui reconnaît la qualité de la gestion locale. En 2004, les quatre premiers Grands Sites sont labellisés. Un état des lieux de cette politique, réalisé en 2009 par le CGEDD, aboutit, parmi d’autre recommandations, à proposer d’inscrire le label dans le Code de l’environnement, ce qui a été fait en 2010.

Un projet de territoire qui répond à un triple objectif

Aujourd’hui, le projet va bien au-delà de la protection régalienne du site classé qui sert de noyau à l’opération. C’est un projet de territoire qui allie préservation et gestion durable, établi collectivement par les acteurs de terrain, approuvé et évalué par l’État, et dont l’objectif est multiple :

  • gérer le site classé cœur l’opération, mais aussi, plus généralement, restaurer et protéger la qualité paysagère, naturelle et culturelle du site ;
  • maîtriser les effets de la fréquentation touristique, améliorer la qualité de la visite, en matière d’accueil, d’information, de services, de stationnement, de circulations douces ;
  • favoriser le développement socio-économique local, via une économie touristique durable et non exclusivement commerciale, tout en associant les habitants au projet et en les protégeant des nuisances.

Au-delà de ces points, cette politique est très exigeante, tant sur la pertinence et le réalisme du projet, que sur la gouvernance, portée par les élus, qui doit être solide et savoir animer et réunir les compétences nécessaires.

Les délais nécessaires à l’aboutissement des opérations peuvent être très longs, ce qui reflète la complexité et la difficulté d’appropriation et de mise en place des projets de territoire. Mais alors qu’en 2009, six sites avaient obtenu le label, on a aujourd’hui vingt-et-un sites labellisés, et une trentaine ont se préparent pour obtenir ce label.

Durée des Opérations Grands Sites pour les sites labellisés

Une grande diversité de territoires et de modes de gouvernance

Une typologie effectuée à partir d’indicateurs démographiques, socio-économiques et environnementaux, aboutit à sept catégories de Grands Sites traduisant une forte diversité. L’analyse des données ne montre cependant pas de spécificités propres aux territoires concernés par cette politique, à part leurs fortes qualités paysagères : elles reflètent en réalité celles de leur département.

Typologie des Grands Sites

En revanche, les modes de gouvernance sont propres à chaque site : on constate ainsi une grande diversité de situations politiques et administratives locales, parfois fragiles, et qui pour certaines ont évolué dans le temps. Les formes les plus nombreuses de gouvernance consistent à s’organiser autour d’un syndicat mixte ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Structures de gestion des Grands Sites en 2021

La politique des Grands Sites de France est confrontée à un ensemble de risques

Si l’inspection relève le risque d’un affaiblissement de l’intérêt que l’État porte à cette politique, ainsi que celui d’un déficit de connaissance des Grands Sites et de leurs actions, elle pointe aussi celui d’un certain oubli des deux fondamentaux que sont le paysage et la fréquentation, au profit de projets de développement durable de territoires, ce qui pourrait conduire à une certaine banalisation des projets et une dispersion des actions. Elle note deux autres écueils, une relative déconnexion des projets avec les habitants et les acteurs locaux, ainsi qu’une fragilité, voire un épuisement des dynamiques territoriales et des équipes porteuses.
Plus globalement, c’est aussi la relative méconnaissance de cette politique qui est mise en exergue. Elle constate ainsi que le travail d’expérimentation mené par les différents sites mériterait d’être mieux connu et pourrait inspirer d’autres territoires, plus « ordinaires » qui pourraient bénéficier des connaissances et des savoir-faire acquis.

Des propositions afin de consolider cette politique

Le rapport propose douze recommandations principales, portant sur la clarification de la doctrine, l’amélioration de la connaissance des Grands Sites, les conditions de renouvellement des labels, les moyens mis en place par l’État, tant en termes humains que financiers, la mobilisation systématique de paysagistes-conseils auprès des territoires, une meilleure association des élus communaux, l’élargissement des missions du réseau des Grands Sites et la mise en place de moyens d’animation des acteurs locaux.

Il commence par la nécessité de rappeler le rôle central du paysage dans cette politique.
La procédure par étapes (des intentions de projet à la labellisation), qui nécessite une construction et approbation collégiale avant le lancement de l’opération, gagnerait quant à elle à être clarifiée et simplifiée, de même que la procédure de renouvellement du label, avec une périodicité maintenue à six ans, sauf cas particulier.

La mesure du résultat des actions mises en œuvre, devrait être améliorée. La fréquentation touristique pourrait être évaluée plus régulièrement grâce à la mobilisation des données de téléphonie mobile et une meilleure association des acteurs du tourisme. Plus globalement, le niveau d’avancement des programmes d’actions des territoires, auquel sont subordonnés les attributions ou les renouvellements de label, une meilleure évaluation, via des indicateurs adaptés, est, elle aussi, nécessaire.

Concernant les moyens dont cette politique doit être dotée pour jouer pleinement son rôle, la mission revient sur le rôle de l’État, à renforcer. Si sa place est relativement modeste par rapport à des projets de territoires de plus en plus nombreux, il doit rester le garant de l’intégrité des sites classés ce qui suppose d’adapter le nombre d’inspecteurs des sites de chaque région en fonction du nombre de Grands Sites. Il s’agit également de relever de manière substantielle et ciblée (compétences de direction, de paysagiste et d’animation notamment) le niveau de son soutien financier aux territoires concernés et à leur réseau.

En terme de gouvernance, la mission revient sur le rôle-clef des maires dans ce type de démarche. Ceux-ci se sentent souvent parfois oubliés alors qu’ils sont indispensables, en particulier pour que leurs populations, simples habitants ou acteurs socio-économiques se mobilisent plus. Ils devraient être plus fortement associés à toutes les décisions.

Enfin, une meilleure reconnaissance des Grands Sites passe par leur capacité, qui devrait être instituée, à donner leur avis sur les documents de planification territoriale.

En conclusion, les Grands Sites de France sont une synthèse de la richesse patrimoniale naturelle et culturelle de notre pays, qui au-delà de la beauté des paysages, sont aussi des lieux de vie et de travail, qui participent à l’attractivité internationale de la France et contribuent concrètement à l’économie du pays. La politique mise en place pour les protéger et les gérer, co-construite entre l’État et les territoires, reste toutefois fragile et doit être consolidée : c’est la qualité paysagère (et donc la qualité de vie) de notre pays qui en bénéficiera.
Lever du soleil sur le Grand site de France de Solutré, Pouilly, Vergisson
Lever du soleil sur le Grand site de France de Solutré, Pouilly, Vergisson
Notes et références

1Les lois fondatrices de la politique des sites classés remontent à 1906 et 1930.

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