Focus sur… Les filières REP : un bilan contrasté, un statu quo impossible
Le système de la Responsabilité élargie des producteurs est en pleine révolution suite au vote de la loi AGEC de 2020
La Responsabilité élargie des producteurs (REP), en vigueur en France depuis 1992, donne l’obligation aux producteurs de certaines catégories de produits de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en sont issus. Ils peuvent pour cela se regrouper au sein d’éco-organismes, structures de droit privé, qui collectent des éco-contributions et financent la fin de vie des produits. La loi AGEC votée en 2020 a à la fois augmenté le nombre de filières concernées par la REP et les missions qui leur sont assignées. Désormais, ce sont 23 filières qui se mettent en place relevant d’une grande diversité de produits. Certains sont bien connus du grand public - emballages, textiles, piles, ameublements – tandis que d’autres sont plus spécifiques – bateaux, gommes à mâcher, textiles à usage sanitaire… Les producteurs sont dans l’obligation non seulement de prévoir le recyclage des déchets produits, mais également de développer l’éco-conception, le réemploi, la réparation, en favorisant l’insertion par l’emploi et les structures de l’économie sociale et solidaire.
Ces ambitions rehaussées attribuées aux filières REP ne sont pas sans poser des questions relatives à la gouvernance du système et à son efficience. C’est dans ce contexte que, suite à une initiative du secrétariat général à la planification écologique (SGPE), une mission a été confiée par la Première ministre à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, à l’Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l’économie (CGE) au premier semestre 2024.
Les performances du système des REP sont contrastées tandis que leur financement va quadrupler entre 2022 et 2030
De 2010 à 2022, le système des REP a permis de mieux collecter les produits en fin de vie, en passant de 44 à 60 % de taux de collecte. Cette évolution encourageante est cependant hétérogène selon les filières. Alors que l’on collecte quasiment l’intégralité des pneumatiques ou des dispositifs médicaux, moins de la moitié des déchets d’ameublement ou des déchets électroniques et à peine plus d’un tiers des textiles font l’objet d’une telle collecte. De plus, collecter ne signifie pas forcément recycler. Or ce taux de recyclage plafonne à 50 % depuis 2015 et est très hétérogène d’une filière à l’autre : 85 % pour les véhicules hors d’usage, 52% pour les déchets d’ameublement mais seulement 23 % pour les plastiques dans la filière des emballages, à titre d’exemples.
Figure 1. Évolution de la collecte des filières REP, comparée à leur gisement
Pour financer ce système, une éco-contribution est payée par les metteurs sur le marché. Celle-ci est d’un montant très variable selon les objets. Elle est ainsi comprise entre 5 et 15 € pour des objets électroniques tels que fours, téléviseurs ou réfrigérateurs, mais représente moins de 10 cts€ pour une chemise ou un smartphone. Elle est visible et individualisée sur certaines filières, telles que l’ameublement ou les produits électriques et électroniques. Sur les autres filières, elle est intégrée au prix final payé par le consommateur, sans figurer de manière explicite sur la facture, pour éviter de surcharger les étiquettes de prix et simplifier les systèmes de facturation. Le montant global collecté va connaître une augmentation sans précédent en passant de 1,9 Md€ en 2022 à 8,0 Md€ en 2029. Cela s’explique à la fois par une augmentation des éco-contributions unitaires afin de mieux financer les nouvelles missions des REP mais également à la mise en place des nouvelles filières. Au regard des sommes mobilisées, l’État est donc légitime à s’interroger sur la qualité du pilotage du système des REP.
Figure 2. Evolution des éco-contributions depuis 2010 et projection jusqu’en 2029
En l’absence de réelle concurrence entre éco-organismes, l’État a besoin d’assurer un pilotage renforcé de la filière REP
Actuellement, le contrôle des filières REP par l’État mobilise 57 équivalents-temps-plein répartis dans cinq entités différentes (DGPR, ADEME, CGEFI, DGCCRF, DGE). La mission a proposé de les regrouper dans une entité unique, qui pourrait être un « service à compétence nationale » ou une « autorité indépendante ». L’indépendance faciliterait la réalisation de l’ensemble des objectifs. La mission a décrit les objectifs qui seraient à assigner à cette entité unique, pour veiller au bon fonctionnement du système des filières REP, en cohérence avec les cibles et prescriptions législatives. Cela relèverait à la fois d’un rôle de pilotage, de régulation et de conseil. Ces missions nécessiteraient de monter les effectifs à hauteur d’environ 100 ETP au sein de cette instance.
La mission a notamment constaté avec étonnement que les pouvoirs de sanction n’étaient que très peu exercés envers les éco-organismes qui gèrent les filières REP, alors même que les objectifs ne sont durablement pas atteints. Elle a ainsi recommandé de diversifier le panel d’outils à la disposition du régulateur pour que celui-ci puisse être plus réactif et avec des réponses plus dissuasives.
Le pilotage des filières REP nécessite également de disposer de données de qualité, fiables, régulièrement et rapidement actualisées. La mission a pu collecter des données avec une ancienneté moyenne de 18 mois auprès de l’ADEME et indiquer les données manquantes, notamment l’absence d’évaluation fiable du gisement et d’évaluation des coûts économiques de la filière de recyclage ou de réemploi, et suggérer de faire évoluer les outils de supervision et de pilotage, à la disposition du régulateur.
La mission a objectivé le faible niveau de concurrence entre éco-organismes par filière REP. Plutôt qu’un lourd processus d’agrément que l’État doit entreprendre a minima tous les 6 ans pour chaque éco-organisme de chaque filière, sur la base d’un cahier des charges, la mission a suggéré un dispositif plus souple qui consisterait à n’agréer les éco-organismes qu’une fois, au moment de leur candidature, et de les piloter ensuite, dans des logiques d’objectifs quadriennaux. Cette approche s’inspire de ce qui peut être pratiqué dans d’autres secteurs, comme celui de l’énergie.
Chaque filière REP mobilise un grand nombre de parties prenantes qui doivent être mieux coordonnées, pour atteindre les objectifs environnementaux fixés
Pour assurer l’allongement de la durée de vie des objets puis leur fin de vie en minimisant les impacts environnementaux, il est nécessaire de mobiliser de nombreuses parties prenantes. Les industriels qui produisent ces objets, évidemment, mais aussi les collectivités territoriales qui assurent la collecte et une partie du recyclage des objets appartenant aux particuliers, les entreprises spécialisées dans le réemploi ou le recyclage, sans oublier le consommateur final.
Derrière le terme global de collectivités territoriales se cachent des réalités locales diversifiées, entre les territoires urbains, péri-urbains, ruraux ou touristiques. Ces collectivités sont financées grâce au système des REP, mais ce soutien n’est pas en rapport avec la réalité des coûts par territoire. La mission a proposé que ces modalités de soutien soient donc modifiées, dans l’objectif de mieux inciter à la performance les collectivités en tenant compte de ces différences territoriales.
Les opérateurs de gestion des déchets réalisent des investissements industriels, qui s’amortissent sur des durées de plusieurs années. Pour se lancer, ils doivent donc disposer de visibilité sur les volumes et qualités de déchets à valoriser, ce qui nécessite d’améliorer leurs relations contractuelles avec les éco-organismes.
Le consommateur final joue également un rôle-clé dans l’atteinte des objectifs. Pour que chacun s’engage dans l’allongement de la durée de vie des produits et leur recyclage, il est nécessaire de simplifier la collecte et le tri, d’inciter financièrement au réemploi et à la réparation. Ces actions ont été renforcées récemment. Ainsi, le Triman, ce logo qui indique où jeter un objet qui n’est plus utile, a été récemment généralisé. Les consommateurs faisant appel à des réparateurs labellisés QualiRépar bénéficient d’un bonus réparation allégeant le coût final de celle-ci. La mission n’a pas pu évaluer si ces mesures seront suffisantes pour rendre chaque consommateur plus responsable du devenir des objets qu’il possède.
L’Agence de la transition écologique (ADEME) pourrait jouer un rôle plus opérationnel, en mettant en œuvre les fonds de réemploi et de réutilisation, qui sont aujourd’hui peu mobilisés et encore balbutiants.
Le système des REP doit maintenant se stabiliser avant d’imaginer de nouvelles filières
La France est, dans le monde, le pays qui a le plus développé le système des REP. Cela constitue une originalité mais ne doit pas se transformer en frein économique, notamment dans le cadre de chaînes de production mondialisées. La mission a encouragé à ce que les filières REP s’organisent à un niveau européen plutôt que français, pour un gain de cohérence et d’efficacité. Pour les 23 filières créées en France, la mission insiste sur le temps nécessaire pour stabiliser l’organisation et mesurer l’atteinte des objectifs. Il paraît prioritaire d’accomplir des progrès dans les filières identifiées plutôt que d’en lancer de nouvelles.
Les auteurs de la mission
Pour l’IGEDD : Philippe Follenfant, Michel Pascal, Cédric Ghesquières
Pour le CGE : Thierry de Mazancourt, Axel Thonier
Pour l’IGF : Anne Paugam, Maroussia Outters-Perehinec, Gabriel Mikowski