FOCUS sur… La préparation de la 6ème période des Certificats d’Economies d’Energie (CEE)
Le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE) oblige les fournisseurs d’énergie à réaliser des économies d’énergie. Le niveau des économies à réaliser est fixé par l’État. Pour remplir leurs obligations, ces fournisseurs cofinancent des opérations de rénovation énergétique menées par les ménages et les entreprises. En contrepartie, ils reçoivent des certificats CEE à hauteur des gains énergétiques escomptés.
Afin de préparer le cadre de la 6ème période des CEE de 2026 à 2029, les ministres chargés des finances et des comptes publics ainsi que la ministre en charge de l’énergie ont saisi l’IGEDD, le CGE et l’IGF le 3 octobre 2023 afin d’apprécier l’efficacité du dispositif, et l’opportunité de différentes évolutions de celui-ci.
Les CEE : un outil important de la politique nationale de transition énergétique?
La directive européenne (UE) n° 2023/1791 du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique (directive DEE) impose aux États membres de réaliser des économies d’énergie. Pour la France la réduction est fixée à 41 TWh par an en moyenne à compter de 2022, contre 13 TWh constatés en moyenne annuelle entre 2012 et 2019. Cette directive offre par ailleurs la possibilité aux États membres de mettre en place un mécanisme d’obligations pour réduire leur consommation d’énergie. Le dispositif des CEE s’inscrit dans ce cadre.
Le mécanisme français, qui compte parmi les plus anciens au sein de l’Union européenne, se situe actuellement dans sa 5ème période (2022-2025). Il est aussi le plus important en volume : une valorisation financière des CEE assise sur leur prix d’échange sur le marché secondaire conduit à un montant de 6 Md€ en 2022 et 4 Md€ en 2023. Les CEE sont donc un outil important de la politique nationale de transition énergétique.
La contribution du dispositif à la trajectoire d’économie d’énergie fixée par la directive DEE jusqu’à l’horizon 2030 dépendra du niveau des obligations d’économie d’énergie retenu sur la 6ème période. Les premiers travaux menés par l’État sur les gisements considérés comme économiquement accessibles font apparaitre une fourchette de contribution du dispositif des CEE qui pourrait aller , selon les hypothèses retenues, de 51 à 88 % de l’objectif national découlant de la DEE.
La puissance publique oriente fortement le dispositif et y intègre notamment la lutte contre la précarité énergétique
Bien que fondé sur le postulat d’une liberté de moyens laissée aux acteurs pour satisfaire leurs obligations, le « marché » des CEE est largement configuré et orienté par l’État, qui y intègre des préoccupations de politique publique. Parmi celles-ci figurent au premier rang la lutte contre la précarité énergétique et la décarbonation, mais aussi, depuis peu, l’impulsion donnée aux chantiers de rénovation globale des logements, par opposition à des travaux isolés. Les règles ainsi définies conditionnent la façon dont doit être réalisée une partie des actions d’économies d’énergie.
Ainsi, la physionomie actuelle du dispositif, très axée sur le secteur résidentiel (près de 70 % des délivrances de CEE depuis la 4ème période), a été modelée par l’État grâce :
- à la fixation des paramètres du dispositif et particulièrement le volume global d’obligations qu’il fixe aux énergéticiens. Ce volume global a été multiplié par 57 depuis la création des CEE, atteignant 3100 TWhc sur la période P5 (2022-2025) ;
- à une obligation spécifique « Précarité », qui contraint à produire 36 % des
- à des « bonifications », certificats supplémentaires alloués pour rendre plus attractives certaines opérations, qui représentent depuis la 4ème période près du tiers des délivrances de CEE, principalement au profit des logements ;
- enfin, à la possibilité, dans le secteur du résidentiel, de cumuler les primes CEE et les subventions du dispositif MaPrimeRénov (MPR) pour les ménages, ces subventions ayant représenté 2,3 Md€ de versements en 2023.
Les transports, pourtant premier secteur consommateur d’énergie devant le bâtiment, ne mobilisent quant à eux que marginalement des CEE, ce qui peut témoigner d’une cherté relative des gisements d’économie d’énergie dans ce secteur et d’une inadaptation partielle de l’outil à ses enjeux.
L’État ne dispose pas de moyens d’évaluation et de contrôle suffisants pour garantir la meilleure efficacité du dispositif
D’une manière générale, les constats de la mission font ressortir que l’État ne dispose pas de moyens d’évaluation et de contrôle du dispositif suffisants pour garantir l’efficacité des politiques mises en œuvre. Ainsi :
- les objectifs assignés au dispositif ne sont pas suffisamment explicités et ne peuvent dès lors être suivis et évalués dans la durée ; cela prive les acteurs de visibilité sur les actions à entreprendre, d’autant plus que la facilité d’usage des bonifications emporte un risque d’utilisation mal maîtrisée ;
- les études de gisements d’économies d’énergie présentent des limites méthodologiques qui empêchent d’estimer précisément les économies d’énergie atteignables à un coût donné et de calibrer finement le dispositif ;
- le calcul conventionnel des économies d’énergie réalisées grâce au dispositif ne s’accompagne pas d’études et de mesurages des économies réelles, qui permettraient de corroborer les forfaits utilisés dans l’attribution des CEE et de connaitre l’impact effectif des CEE ;
- le niveau d’incitation découlant du taux de couverture des travaux par les primes CEE et par MPR, lorsque les deux aides se cumulent, est mal connu de l’administration ; de même, les risques d’effets d’aubaine pour les bénéficiaires et d’inflation du coût des travaux du fait des aides versées sont mal appréhendés.
Les contrôles sont insuffisants au regard des risques de fraudes et de malfaçons
Le phénomène de fraude, difficile à évaluer, pourrait, selon la Mission Interministérielle de coordination anti-fraude représenter de l’ordre de 480M€, dont 380M€ de tentatives de fraude ayant pu être évitée. Fraudes et malfaçons font peser un risque sur la crédibilité du dispositif lui-même.
Si la réglementation fait reposer l’essentiel des contrôles de CEE sur les entreprises supportant l’obligation, ce qui permet de les réaliser en grand nombre, l’administration pâtit d’un cadre juridique et de techniques qui limitent l’efficacité de ses propres vérifications : délais d’instruction trop courts, absence d’articulation avec les contrôles des obligés, évaluation des risques insuffisamment appuyée sur l’outil informatique, notamment.
Améliorer la capacité de pilotage et d’évaluation ainsi que l’efficacité des contrôles est d’autant plus justifié que le dispositif est largement administré et que son poids pourrait encore augmenter
Les enjeux de transition énergétique et le poids financier du dispositif pourraient encore augmenter fortement en 6ème période si l’on se réfère aux hypothèses d’obligations mises à la consultation publique par l’État. En effet, celles-ci pourraient aller jusqu’à un doublement de l’obligation annuelle actuelle (soit 1600 TWhc).
Le coût des CEE, qui est répercuté sur le prix de l’énergie, pèse in fine essentiellement sur les ménages, notamment automobilistes, et s’apparente, en logique, à une taxe proportionnelle à la consommation d’énergie. Ainsi en 2022, les CEE représentaient entre 3 et 4,5 % de la facture énergétique des ménages, soit un montant de plus de 160 € par an pour un ménage se chauffant au gaz et consommant du carburant. Ce chiffre pourrait sensiblement augmenter sur la prochaine période.
Des évolutions récentes dans les méthodes de travail de l’administration témoignent d’une prise de conscience de la nécessité d’améliorer l’évaluation, le pilotage et les contrôles. La mission invite vivement à consolider ces améliorations, ce qui implique :
- de disposer d’études de gisements technico-économiques s’appuyant sur une pluralité d’expertises et permettant de calibrer d’une façon méthodologiquement plus robuste le niveau des économies d’énergie attendu ;
- de garantir par une politique de contrôles efficace la réalité et la qualité des opérations de rénovation énergétique face aux fraudes et malfaçons ;
- de mieux évaluer, in fine, la mise en œuvre du dispositif grâce à l’amélioration de la connaissance des économies d’énergie générées par le dispositif et des incitations financières qui leur sont associées.
La mission recommande d’allouer les budgets et moyens humains nécessaires à ces évolutions, et de s’appuyer sur une gouvernance renforcée et suffisamment plurielle.
Un nécessaire partage avec le Parlement du cadre de la sixième période
L’État doit définir clairement les objectifs qu’il poursuit et les articuler correctement avec l’ensemble des dispositifs promouvant des économies d’énergie, notamment dans le secteur résidentiel avec la subvention MPR, du fait du fort couplage des deux instruments.
Ainsi, les arbitrages à rendre sur les objectifs et sur l’ambition de la 6ème période devront tenir compte :
- de la nécessité de réaliser des gains énergétiques substantiels, conformément aux objectifs découlant de la DEE ;
- et de la répercussion du coût des CEE sur les ménages, d’autant plus que l’entrée en vigueur en 2027 du mécanisme européen d’échange de quotas carbone « ETS2 » devrait entraîner des conséquences sur le prix des énergies fossiles.
Ces problématiques devront être partagées avec le Parlement, en lui donnant notamment les éléments d’éclairage nécessaires à l’exercice de ses prérogatives, qui consistent à encadrer le montant de l’obligation pour chaque période.
La plupart de ces recommandations sont valables indépendamment des enjeux spécifiques à la 6ème période. Aussi, les exigences en termes de contrôle et d’évaluation devraient commencer à être mises en œuvre dès à présent.
Les auteurs de la mission
Pour l’IGEDD : Sophie Mougard, Bernard Schwob
Pour le CGE : Philippe Geiger, Pascal Dupuis
Pour l’IGF : Anne-Michelle Basteri, Jeanne Mazière, Frédéric Lavenir, Paul Kassieh