Focus sur… Ensemble, refaire ville. Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers et des territoires fragiles

Vingt ans après la création de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), le renouvellement urbain est devenu un objet de politiques multiformes mobilisant également l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et concernant des quartiers très différenciés : faut-il continuer et si oui, selon quelle méthode, avec quels objectifs, quels moyens, quels périmètres ?

C’est la question posée fin 2023 à trois personnalités qualifiées : Anne-Claire Mialot, directrice générale de l’ANRU, Cédric Van Styvandael maire de Villeurbanne et Jean-Martin Delorme président de section à l’IGEDD. Le rapport a été remis au Gouvernement en février 2025.

La mission s’est attachée à rencontrer l’ensemble des acteurs, associations d’élus, réseaux professionnels, opérateurs et financeurs, bailleurs sociaux, chercheurs, anciens ministres, et aussi habitants et acteurs de terrains à travers une dizaine de déplacements dans des territoires.

La ségrégation socio-spatiale s’est accrue en France sous les effets combinés de la métropolisation, de la désindustrialisation et de l’accroissement des inégalités sociales.

La mission a fait le constat de la persistance d’une ségrégation territoriale et sociale à l’égard des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) comme des habitants des territoires ruraux, périurbains et des territoires en déprise économique : « En 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes » indique l’Insee, tout comme France Stratégie qui souligne la puissance des mécanismes de concentration sociale, qu’ils soient « choisis » pour les plus riches, ou « subis » pour les plus pauvres. Une tendance française mais également européenne, comme l’indique la Commission européenne « trente ans après le lancement du marché unique européen et du renforcement de la politique de cohésion (..) des disparités subsistent [entre régions] ». Et la Commission de souligner l’aggravation de la situation en France, un pays où les « disparités internes » sont fortes et ont augmenté.

Comme l’avait défendu en son temps le président de la République Jacques Chirac, « La République ne peut pas accepter de voir des quartiers entiers s’enfoncer dans la violence, le non-droit et le désespoir. La République ne serait plus elle-même si elle acceptait que, sur son territoire, un nombre grandissant de ses habitants soient abandonnés à eux-mêmes (…). Ce problème n’est pas seulement celui des habitants des quartiers difficiles. C’est celui de la Nation tout entière. »

Car derrière ce constat, ce sont des femmes et des hommes et autant d’histoires de vies percutées par l’assignation à résidence, l’enclavement et le sentiment d’abandon. Qu’on soit pauvre dans une commune rurale isolée ou dans un quartier urbain enclavé, les « problématiques [sont] plus souvent communes que contraires » : la difficulté à trouver un emploi, à accéder aux services publics, à se loger, à se déplacer, à se soigner. Bref à vivre dignement. Cette relégation sociale et spatiale s’ajoute souvent au sentiment de relégation démocratique et civique qui touche les plus pauvres, celles et ceux qui ont rarement le « choix ».

Source : ANRU (JDL – FORS – Cf. Géo) – données INSEE, FILOSOFI 2020 et RP 2014-2020, 2024
Source : ANRU (JDL – FORS – Cf. Géo) – données INSEE, FILOSOFI 2019, 2024

Cette France des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des territoires en déprise, qui subit de plein fouet tous les bouleversements de notre époque, sans nécessairement avoir les armes pour y répondre, s’est exprimée ces dernières années, dans les urnes ou parfois violemment. Marco Oberti l’a montré dans sa dernière étude sur les émeutes de 2023. « Le haut niveau de ségrégation urbaine constitue le meilleur prédicteur des violences. La différence la plus marquante entre 2023 et 2005 est l’entrée en scène des villes petites et moyennes, où les adolescents de cités d’habitat social s’identifient aux jeunes des banlieues de métropole ». Et 63 % des communes ont connu à la fois des émeutes en 2023 et une mobilisation des gilets jaunes en 2018, avec des ressorts communs aux deux mouvements, « la ségrégation et l’éloignement des services » et dans les deux cas une manifestation « plus spontanée et plus violente » de ces colères.

Sources : OBERTI, Marco, GUILLAUME LE GALL, Maela. Les territoires des émeutes, la ségrégation urbaine au cœur des violences, La vie des idées, avril 2024. Base « Émeute 2023 » des auteurs. Données scolaires : MEN-DEPP. Données QPV 2014 : Agence nationale de la cohésion des territoires.

Aux fragilités économiques, sociales et territoriales déjà existantes, s’ajoutent désormais celles liées aux impacts du changement climatique.

Le GIEC souligne l’aggravation et la multiplication des risques climatiques tant en termes de réchauffement climatique que d’impact sur la disponibilité des ressources et la biodiversité. Ainsi, en 2050, le climat de Paris sera semblable à celui de Séville, avec en moyenne trois semaines de canicule par an, des pics de température à 50°C et trois fois plus de nuits tropicales qu’aujourd’hui. Le GIEC insiste également sur le fait que le changement climatique pèse encore plus sur les plus pauvres pourtant moindres émetteurs de carbone, les inégalités démultipliant les effets du changement climatique. Ce que soulignait déjà l’Institut Paris Région en 2016 dans une étude sur les points noirs environnementaux : « Lorsqu’ils sont habités, plus de la moitié (52 %) des points noirs environnementaux (trois nuisances et plus) ont une surreprésentation de ménages à bas revenus. Cette surreprésentation se confirme lorsque le nombre de sources d’exposition augmente, passant à 75 % pour les PNE cumulant quatre nuisances et pollutions ».

Ces bouleversements vont impacter la vie et la ville avec des conséquences sur les manières d’habiter et d’occuper le territoire. Si « les inégalités territoriales sont à la fois la cause et la conséquence des dynamiques sociales », le changement climatique risque encore de renforcer les logiques de ségrégation, d’atomisation de la société et donc générer de la défiance. « C’est un vrai cercle vicieux [explique François Gemenne] : une société plus inégalitaire, par les réponses qu’elle apporte aux effets du changement climatique – souvent plus adaptées aux plus riches –, peut accroître les inégalités et ainsi être plus vulnérable aux effets du changement climatique. »
La mission préconise de réaffirmer la lutte contre la ségrégation socio-spatiale comme une priorité nationale afin de garantir un aménagement du territoire où aucun territoire n’est laissé en marge de la promesse républicaine et suggère d’en confier le portage à un comité interministériel d’aménagement du territoire associant les collectivités locales.

S’agissant des territoires et des enjeux à cibler, la mission a une double conviction : la nécessité de poursuivre une politique de renouvellement urbain résiliente centrée sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et la pertinence d’un élargissement de cette politique publique à d’autres territoires fragiles ou risquant de l’être demain, notamment sous l’effet du changement climatique.

Poursuivre une politique nationale de renouvellement urbain au service des quartiers prioritaires de la politique de la ville…

Le besoin de poursuite d’une politique publique nationale de renouvellement urbain a été exprimé par l’ensemble des personnes auditionnées avec le souhait du maintien d’un programme dédié aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il faut « réparer certaines erreurs urbaines du passé » car les « QPV plongent s’ils ne sont pas accompagnés » souligne le Conseil national des villes (CNV), « qu’il y a encore des besoins dans des quartiers non traités » pour l’Assemblée des départements de France (ADF) et que « l’avenir du pays se joue là » selon Jean-Louis Borloo. Enfin, la crainte d’un « trou d’air » entre le programme actuel, dont les engagements se terminent en 2026 et le futur est évoqué par les personnes auditionnées comme un risque majeur au regard de l’expérience de la transition entre le premier et le deuxième programme de l’ANRU.

L’ANRU est « une agence reconnue par les élus comme l’un des outils indispensables de la politique de la ville » selon l’Association des maires de France (AMF), « une institution forte qui impulse et reste garante d’ambitions renouvelées » pour la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) et qui « fonctionne sur la base d’un contrat de confiance entre État, bailleur et territoires » selon l’Union sociale pour l’Habitat (USH). Elle est un outil pertinent qui a permis d’avoir « une action publique dans la durée et de développer une politique et des projets qui nécessitent du temps et une vision stable » et qui est légitime pour poursuivre le portage de cette politique publique dans les prochaines années. Les personnes auditionnées ont souligné les atouts de cette agence (pluri-annualité, partenariat, financement d’un projet urbain, intervention structurante) tout en pointant la nécessité d’adapter son mode de fonctionnement aux enjeux d’aujourd’hui, notamment environnementaux, de renforcer la territorialisation de son action et de mieux prendre en compte les attentes des habitants.

Aussi, la mission préconise le lancement d’un nouveau programme national de renouvellement urbain en 2025, confié à l’ANRU, ayant pour objectif la lutte contre la ségrégation urbaine et la résilience territoriale en ciblant les quartiers prioritaires de la politique de la ville les plus vulnérables, définis à la fois par leurs enjeux sociaux, environnementaux et leurs dysfonctionnements urbains. Ce programme inaugurera une nouvelle génération de programmes, récurrents et étroitement articulés avec le cycle municipal.

La mission recommande une simplification renforcée de son modèle d’intervention, une meilleure articulation des aides de l’État et de ses opérateurs, une mise en œuvre fortement territorialisée, une prise en compte des engagements des politiques de l’habitat au niveau de l’intercommunalité et un renforcement de la place des habitants dans les projets urbains.

La mission recommande également l’élaboration préalable d’un diagnostic social du quartier incluant, et plus globalement une mobilisation accrue des politiques publiques de droit commun en matière de sécurité, d’éducation, d’emploi, de santé, d’accès aux services publics et de culture ainsi qu’une meilleure articulation entre les projets de renouvellement urbain et la politique de la ville.

Enfin, le financement du nouveau programme de manière pluriannuelle apparaît comme l’un des gages de réussite du PNRU puis du NPNRU. Au-delà du réengagement des partenaires historiques de l’ANRU (Action Logement, USH, Banque des Territoires, État), la mission préconise d’inscrire le renouvellement urbain comme axe prioritaire des financements structurels européens (post 2027) et d’envisager l’élargissement d’un pacte financier intégrant d’autres acteurs dont les acteurs privés et collectivités territoriales.

… Une politique de renouvellement urbain qui a vocation à être élargie à d’autres territoires.

Pour faire face aux enjeux d’amélioration de l’habitat et de cohésion territoriale, l’État a progressivement renforcé ses dispositifs d’accompagnement des collectivités territoriales, compétentes en matière d’habitat et d’aménagement. D’abord centrés sur l’habitat privé via son agence dédiée, l’Anah (OPAH RU, PNRQAD copiloté avec l’ANRU, Plan initiative copropriété), l’État a développé depuis 2018, avec ses partenaires notamment la Banque des Territoires et Action Logement puis l’ANCT, des dispositifs ciblés d’accompagnement à la revitalisation des territoires (Action Cœur de Ville, Petites villes de demain, plans d’action territoriaux comme Engagement pour le renouvellement du bassin minier etc…) ainsi que des dispositifs d’accompagnement à la transition écologique (Fonds friche, Fonds verts). Ces dispositifs, appréciés des collectivités territoriales, doivent être confortés tout en favorisant une approche par le projet urbain face aux situations de territoires en déprise (villes moyennes, tissu pavillonnaire du périurbain, friches industrielles & zones commerciales désaffectées) ou de territoires confrontés aux conséquences du changement climatique, potentiellement inhabitables demain (inondation, recul du trait de côte, …).

En premier lieu, il conviendrait d’identifier les pistes d’adaptation du modèle économique et juridique de l’aménagement et du logement, pour que le renouvellement urbain devienne le « droit commun » de la fabrique de la ville, dans un objectif de limitation de la consommation d’espaces naturels.

En deuxième lieu, il s’agit d’approfondir le diagnostic et stabiliser la cartographie des territoires vulnérables présentant ou susceptibles de présenter dans le futur, sous l’effet de processus de ségrégation qui s’initient ou du dérèglement climatique notamment, des besoins de renouvellement urbain, afin d’établir une cartographie partagée des enjeux. La spécificité des territoires ultramarins devra être prise en compte.

Enfin, la mission préconise d’envisager le renforcement du maillage territorial d’opérateurs de maîtrise foncière, d’opérateurs de maîtrise d’ouvrage, et de foncières commerciales locales mais également de l’accompagnement des collectivités territoriales face à ces défis, par le déploiement d’une ingénierie ou de programmes adaptés à ces enjeux particuliers. Trois scénarios sont proposés dans le rapport, proposant une implication plus ou moins forte de l’ANRU, des conseils régionaux et des autres agences de l’État. Dans le cas où un engagement de l’ANRU serait souhaité par le Gouvernement, une actualisation de son cadre juridique serait nécessaire sur ce point également.

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La politique nationale de renouvellement urbain conduite depuis 20 ans dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville a permis d’améliorer significativement la vie de leurs habitants et a eu un impact causal significatif sur le niveau de ségrégation des quartiers ciblés. La solidarité nationale doit pouvoir continuer à s’exercer vis-à-vis de tous les territoires en difficulté, quartiers prioritaires, territoires en déprise, territoires en risque climatique demain.

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