Focus sur… L’évaluation de l’adéquation et l’efficacité des outils au service de la rénovation énergétique des bâtiments du tertiaire marchand



Le tertiaire marchand représente un enjeu massif en termes de consommations et d’émissions

Le secteur tertiaire représente, en 2022, 16,7% des consommations d’énergie finales et 6% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France, pour l’usage des bâtiments et les activités hébergées dans ces bâtiments, hors consommations et émissions dues à la mobilité qui leur est nécessaire. Ce secteur, qui rassemble des activités marchandes et des activités non marchandes, doit apporter une forte contribution aux objectifs de réduction des émissions de GES à l’horizon 2030, par une baisse de 62% de ses émissions par rapport à 2019, pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone qui déclinent les objectifs du paquet législatif européen « Ajustement à l’objectif 55 ».

L’enjeu de la réduction des consommations d’énergie et de réduction des émissions de GES du tertiaire n’est pas seulement environnemental. La récente crise de l’énergie a confirmé la fragilité de beaucoup d’activités et d’entreprises face à une envolée des prix de l’énergie. Pour les entreprises du secteur tertiaire marchand (plus de 2 millions dont 95% de TPE) c’est donc aussi un enjeu de compétitivité, et pour les territoires un enjeu de bonne santé de leurs tissus socio-économiques.

Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la ministre de la transition énergétique et la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ont confié au Conseil général de l’économie et à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable une mission portant sur les outils de la rénovation énergétique des bâtiments du tertiaire marchand, afin de déterminer si les obligations réglementaires, les aides existantes et les mécanismes d’accompagnement poussent bien les entreprises du tertiaire marchand à agir pour tenir compte de la trajectoire nationale de réduction des émissions de GES et des consommations d’énergie assignée au secteur.

Les consommations d’énergie du tertiaire marchand comportent deux dimensions

La mission s’est intéressée à l’ensemble des activités du tertiaire défini par l’INSEE comme principalement marchand, à savoir : commerce, transports, activités financières, services rendus aux entreprises, services rendus aux particuliers, hébergement-restauration, immobilier, information-communication, quelle que soit la surface occupée par ces activités.

Les consommations d’énergie varient fortement entre les activités tertiaires, principalement en raison d’écarts très importants entre celles des équipements spécifiques, requis pour la réalisation des diverses activités (appareils de cuisson ou de la chaîne du froid alimentaire, bureautique et numérique, etc.). Les consommations d’énergie liées à l’usage des bâtiments hébergeant les diverses activités tertiaires marchandes, quoique sensibles à la présence et l’usage de certains équipements, aboutissent à des ratios au m2 moins contrastés.

Les énergies utilisées pour les usages spécifiques et pour l’usage des bâtiments ne sont pas les mêmes. Les énergies fossiles représentent encore près des deux tiers de l’énergie de chauffage du tertiaire, le gaz naturel étant à lui seul majoritaire. Ces énergies fossiles sont très minoritaires(15%) dans les autres usages (bureautique, cuisson, froid alimentaire, lavage-séchage, etc.) dominés par l’électricité (83%). L’objectif de la sortie progressive des énergies fossiles à l’horizon 2050 est donc, dans le tertiaire, un enjeu de chauffage. L’amélioration de l’efficacité énergétique des équipements spécifiques répond à d’autres exigences.

Une trajectoire qui n’est pas encore sous contrôle

La loi ELAN fixe un objectif de réduction des consommations totales d’énergie « d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050, par rapport à 2010 », sur toutes les activités hébergées dans des ensembles immobiliers comportant au moins 1000 m2 de surfaces tertiaires. Le périmètre soumis à cette obligation, comme l’ensemble du patrimoine immobilier utilisé par les activités tertiaires marchandes, demeure aujourd’hui mal connu et insuffisamment caractérisé. Il en va de même des consommations spécifiques des équipements métiers. Les données disponibles produites par l’administration ou par des acteurs économiques fournissent des informations partielles sur des périmètres qui ne se recoupent pas. Elles permettent de fournir des ordres de grandeur utiles, mais n’offrent pas la précision requise pour piloter le déploiement opérationnel d’une politique publique. La définition d’une stratégie d’étude pour améliorer la connaissance du patrimoine et des équipements du secteur tertiaire marchand, sa diffusion et son partage apparaissent prioritaires.

De même, il n’existe pas de dispositif de pilotage, au sein de l’État, couvrant la totalité du périmètre (équipements métiers et bâtiment) et impliquant toutes les administrations concernées. La trajectoire fixée dans le cadre de la planification écologique, dont les principaux leviers sont la sortie progressive des énergies fossiles, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la sobriété, n’est donc pas sous contrôle. La mise en place d’un dispositif de pilotage interministériel pour le secteur du tertiaire marchand apparaît essentielle.

Une nécessaire amélioration du dispositif réglementaire

Le dispositif éco-énergie tertiaire (DEET), mis en place par le décret du 23 juillet 2019 appelé « décret tertiaire » et les arrêtés qui le complètent, est considéré unanimement comme un cadre pertinent pour atteindre ces objectifs ambitieux. Néanmoins, la réalité du déploiement de ce dispositif ne garantit pas la réussite de la transition énergétique du tertiaire. En effet, la déclinaison réglementaire n’est pas achevée. Si le champ d’application des objectifs fixés par la loi est bien défini et l’obligation de déclaration effective, certaines modalités de calcul des objectifs de réduction de consommations d’énergie ne sont pas encore publiées. La déclaration par les entreprises de leurs consommations d’énergie et de données relatives aux usages, sur la plateforme « observatoire de la performance énergétique, de la rénovation et des actions du tertiaire » (Operat), les a confrontées aux difficultés d’acquisition des données correspondantes. Le rapport propose quelques solutions, notamment de prioriser l’action sur les surfaces de 1000 m² et plus et de maintenir le petit tertiaire privé en dehors du périmètre de l’obligation réglementaire jusqu’à 2030. Au-delà, la transposition de la refonte de la directive « efficacité énergétique des bâtiments » imposera une modification du dispositif, pour prendre en compte l’obligation nouvelle d’un traitement prioritaire des passoires thermiques.

La dimension économique de la rénovation des bâtiments doit être mieux prise en compte

Dans les 2/3 des cas, l’exploitant de l’activité tertiaire est locataire. La collaboration active de l’entreprise locataire et de son propriétaire est nécessaire pour l’élaboration, la réalisation et le financement des plans d’actions permettant d’atteindre les objectifs de réduction des consommations d’énergie. Cependant, la mission a constaté que le cadre réglementaire actuel n’incite pas ces acteurs à s’entendre, voire engendre des blocages. Elle recommande donc une modification de la réglementation des baux commerciaux pour organiser un retour financier vers le propriétaire qui réalise les investissements de rénovation énergétique, en contrepartie de l’affirmation de sa responsabilité sur l’enveloppe du bâtiment et des équipements énergétiques communs. En sus, une refonte du diagnostic de performance énergétique (DPE) tertiaire doterait les propriétaires et les locataires d’un outil fiable de prise en compte de la performance intrinsèque des biens dans leur valeur locative et valeur vénale.

Les techniques permettant d’atteindre des performances élevées du bâtiment existent. Toutefois, la rénovation énergétique des bâtiments tertiaires appelle des investissements considérables, estimés par le rapport Pisani et Mahfouz à 30 milliards d’euros par an jusqu’en 2030 (dont 20 pour les entreprises). La filière du bâtiment a besoin d’une meilleure visibilité sur la demande de rénovation pour se mobiliser sur la réalisation des travaux correspondants.

Quand ils auront l’assurance de pouvoir récupérer tout ou partie des économies engendrées par ces travaux, les propriétaires professionnels pourront monter les plans de financement des investissements requis pour l’atteinte des objectifs 2040 et 2050 du DEET en bénéficiant du déploiement progressif de l’agenda européen pour la finance durable et des aides apportés par les obligés dans le cadre du dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE). Une adaptation des dispositifs CEE, crédit-bail et cession-bail faciliterait leurs opérations.

Pour les petits propriétaires, qui n’ont ni un accès aisé aux financements, ni les mêmes capacités à maîtriser les outils et démarches de rénovation, un accompagnement de proximité et des aides complémentaires aux CEE s’avéreront indispensables, en recherchant les meilleures modalités pour ramener les temps de retour sur investissement à des niveaux soutenables.

L’amélioration de l’efficacité énergétique des équipements métiers utilisés par les entreprises tertiaires semble le parent pauvre

Personne n’apparaît en charge ni de vérifier que des équipements suffisamment performants pour répondre aux objectifs existent, ni de créer les conditions économiques incitant les chefs d’entreprise à les préférer à des équipements peu ou moyennement performants. La plupart de ces équipements ne bénéficient pas de fiche CEE. La prise en compte de ce sujet par les obligés constitue une priorité.

La nécessité d’une approche territoriale

Les entreprises du tertiaire marchand sont, à 95%, de très petites entreprises. Elles ne sauront pas entrer seules dans la démarche d’amélioration de leur efficacité énergétique et devront bénéficier d’un accompagnement de proximité. La rénovation énergétique du tertiaire marchand n’atteindra ses objectifs qu’à la condition de devenir une politique partagée, co-construite entre l’État, les régions et les intercommunalités.

L’île de La Réunion et quelques territoires dans l’hexagone ont pris la mesure de l’enjeu économique et environnemental que cela représente et ont mobilisé leurs ressources pour sensibiliser et conseiller les entreprises du petit tertiaire non soumises au DEET, dans le cadre du programme « SARE – petit tertiaire privé » qui s’achève fin 2024.

Programme SARE PTP densité d’intervention des structures les plus actives en 2023

Ces acquis doivent être préservés. Il convient donc de susciter la mise en place, dans chaque territoire, d’un dispositif d’accompagnement de masse des PME/TPE tertiaires et des petits propriétaires, défini et piloté par les collectivités.

Quelques territoires ont commencé à mettre en place des dispositifs d’aides au bénéfice de leurs PME ou TPE tertiaires, voire des petits propriétaires de surfaces tertiaires. Quelques-uns à promouvoir activement des offres d’énergies renouvelables ou de récupération (EnRR) indispensables pour réussir la sortie des énergies fossiles. La capacité des collectivités territoriales compétentes à s’emparer de ces exemples inspirants conditionnera la réussite, sur tout le territoire national, de l’amélioration de l’efficacité des PME et TPE tertiaires et de la rénovation énergétique des bâtiments les accueillant. Pour les y inciter la mission propose que les plans climat-air-énergie territoriaux soient complétés par un plan de déploiement des EnRR.

Les auteurs de la mission

Alain Neveü Guy Hascoet

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