Focus sur…L’acceptabilité des zones à faibles émissions : enseignements à tirer de l’expérience des pays européens


La Première ministre, Mme BORNE, a confié en mars 2023 à une parlementaire, Mme Barbara POMPILI, députée de la Somme et ancienne ministre de la transition écologique, une mission sur l’acceptabilité des zones à faibles émissions (ZFE).
L’IGEDD est intervenu en appui.


La mission avait pour objectif d’identifier les bonnes pratiques en Europe

L’objectif était de travailler sur l’acceptabilité de la transition écologique.
Celle-ci fait l’objet d’attentes fortes d’une partie de nos concitoyens, désireux que des politiques ambitieuses soient menées pour limiter les conséquences dommageables du changement climatique et des pollutions. Mais la mise en œuvre de ces politiques peut aussi susciter de la part de la population des inquiétudes, à l’égard d’une éventuelle remise en question de son mode de vie, et le souhait de règles qui soient équitables, quel que soit le mode de vie de chacun.

Le sujet retenu est celui des ZFE, qui font partie de ces politiques ambivalentes : elles ont pour objectif d’améliorer la qualité de l’air dans les villes, les effets nocifs de la mauvaise qualité de l’air sur la santé étant bien établis. En imposant aux véhicules circulant dans la zone de respecter des règles en matière d’émission de polluants, la ZFE permet d’améliorer la qualité de l’air. Mais il est parfois reproché au dispositif de porter atteinte à la liberté de déplacement des personnes. Une critique fréquente en France est que les ménages à revenus modestes n’ont pas les moyens de remplacer leur véhicule diesel ancien par un véhicule électrique et que, faute de transports publics à proximité de leur domicile, ils n’ont pas toujours de solution alternative.

Pour étudier les moyens d’améliorer l’acceptabilité des ZFE, la méthode de travail mise en œuvre par la mission a consisté à analyser les dispositifs mis en place dans une sélection de pays européens, à identifier les bonnes pratiques et à en tirer des enseignements pour la France.

Pour que la comparaison avec la France soit pertinente, la mission a privilégié des pays où, comme en France, les ZFE concernent non seulement les poids lourds, mais aussi les véhicules des particuliers. Six pays ont été retenus : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Dans ces pays, la mission a recherché des villes reflétant la diversité de taille des villes françaises concernées par les ZFE. Elle s’est ainsi rendue notamment à Londres, mais aussi à Aix-la-Chapelle, en Allemagne.

Les conséquences de la mauvaise qualité de l’air sur la santé sont bien documentées, qu’il s’agisse de l’aggravation de pathologies respiratoires chroniques, comme l’asthme, ou de la contribution au développement de maladies cardiovasculaires et du cancer du poumon. Une étude de Santé Publique France, menée selon une méthodologie solidement établie au niveau international, évalue à 40 000 le nombre annuel de décès prématurés imputables à la pollution par les particules fines et à 7 000 pour le dioxyde d’azote. Surtout, au-delà des analyses statistiques, ce sont bien des personnes qui sont concernées : au Royaume-Uni, une décision de justice a établi que la pollution de l’air était responsable du décès d’un enfant qui vivait à proximité d’un axe routier important. En France, l’État a été condamné en 2023 à indemniser deux familles dont les enfants ont souffert de pathologies pour lesquelles l’aggravation des symptômes coïncidait avec les épisodes de pollution de l’air.

Les ZFE sont bien un enjeu de santé publique.

La norme Euro a entraîné une baisse des émissions de polluants des véhicules neufs

La mission a constaté que la conception des ZFE variait entre les pays étudiés en fonction principalement

  • du périmètre géographique couvert par la zone
  • du niveau d’exigences en termes d’émissions de polluants par les véhicules autorisés à circuler
  • du calendrier d’évolution éventuel de ces exigences
  • des véhicules concernés (véhicules légers, poids lourds, …).

Le niveau d’exigences en termes d’émissions de polluants est exprimé en fonction de la norme européenne « Euro ». Le tableau ci-après montre que cette norme, applicable aux véhicules neufs, a évolué au fil des années, depuis l’introduction de la norme Euro 1 en 1993. La version en vigueur est la norme Euro 6. Les étapes majeures de diminution effective des émissions ont été apportées par les normes Euro 3, Euro 5 et Euro 6.

Normes Euro d’émission de polluants des véhicules neufs - particules fines (PM), oxydes d’azote (Nox) : Cas des véhicules légers diesel

Lecture du tableau : La norme Euro 5a, publiée en 2011, a permis une seconde étape de baisse des émissions de particules fines (PM)

Des ZFE sont mises en œuvre avec succès en Europe

En se concentrant sur les ZFE couvrant un large périmètre et ciblant à la fois les véhicules des particuliers et des poids lourds, la mission a mis en évidence, dans les six pays du parangonnage, un ensemble de ZFE mises en œuvre avec succès et bien acceptées : les ZFE d’Amsterdam et Madrid, où la norme minimale en 2023 pour les véhicules des particuliers est Euro 4 ; les ZFE de Londres, Bruxelles, Stuttgart et Milan, où la norme minimale en 2023 pour les véhicules des particuliers est Euro 5 ou Euro 6.

En France, dans les villes où les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière régulière, le niveau d’exigences minimale de la ZFE doit être Euro 3 en 2023, Euro 4 en 2024 et Euro 5 en 2025, ce qui correspond aux vignettes Crit’air 4, Crit’Air 3 et Crit’air 2 respectivement. Au 1er janvier 2025 deux agglomérations sont concernées : Paris et Lyon.

Ainsi, le niveau d’exigence institué par la loi française pour les véhicules diesel légers est déjà mis en œuvre dans les ZFE de Milan, Londres et Bruxelles.

Le tableau ci-après résume ces informations :

Sélection de ZFE en Europe et comparaison avec la France Ces exemples montrent que le niveau d’exigence institué par la loi française pour les véhicules diesel légers (norme minimale Euro 4 en 2024 et Euro 5 à échéance de 2025 dans les ZFE des villes où les règles de qualité de l’air ne sont pas respectées de façon régulière) est déjà mis en œuvre dans les ZFE de Milan, Londres et Bruxelles

Les ZFE améliorent la qualité de l’air

La mission a constaté que les ZFE étaient un outil efficace pour améliorer la qualité de l’air dans les villes. En effet, les émissions de polluants des véhicules bénéficiant des normes les plus récentes sont nettement plus faibles. Grâce notamment à l’exigence minimale Euro 6 pour les véhicules diesel, la ZFE de Londres, appelée ULEZ (ultra low emission zone) a ainsi obtenu une diminution de 23 % des concentrations de NO2. Cette diminution apparaît sur l’illustration ci-après en comparant les courbes mauve (sans ULEZ) et bleu (avec ULEZ) en 2022 pour la zone dite « inner London ».

Evolution des concentrations moyennes de NO2 à Londres avec et sans ULEZ

Comme à Bruxelles ou à Milan, les villes françaises ne respectant pas les valeurs limites réglementaires devraient annoncer un calendrier d’évolution progressive de la norme minimale Euro admise pour circuler dans la ZFE, afin que les acteurs concernés, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, disposent de la visibilité indispensable pour s’adapter.

Compte tenu de la publication prochaine d’une révision de la directive européenne sur la qualité de l’air ambiant, les autres villes de plus de 150 000 habitants devraient se préparer aux nouvelles règles, sensiblement plus exigeantes, qui seront à respecter pour 2030.

Le tableau ci-après présente l’évolution attendue de la réglementation européenne, dont les exigences resteraient en-deçà des valeurs-guides définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Réglementation européenne en matière de qualité de l’air ambiant

Pour être bien acceptée, une ZFE doit être perçue comme utile et équitable

Une ZFE doit tout d’abord être perçue comme utile : à cet effet, l’information du public joue un rôle essentiel, et notamment les messages sur les enjeux de la qualité de l’air en matière de santé. Le projet sera également mieux accepté si le public participe à son élaboration : la concertation préalable joue ainsi un rôle essentiel. A Bruxelles, la concertation initiale a permis de définir les sujets à approfondir.

Pour que la ZFE soit bien acceptée, les ménages et les entreprises ne doivent pas se sentir entravés dans leur mobilité. À cet effet, la ZFE doit être accompagnée par un projet global de mobilité, permettant de faciliter les déplacements des ménages et des entreprises ; il s’agit notamment d’améliorer les transports publics, de développer le réseau de pistes cyclables, d’encourager les services de mobilité tels que le covoiturage et l’autopartage.

Il convient de rechercher le bon point d’équilibre entre efficacité et souplesse de mise en œuvre pour que les ménages et les entreprises ne se sentent pas piégés. Des dérogations temporaires peuvent y contribuer. En outre, les entreprises, qui interviennent souvent sur plusieurs ZFE, sont très désireuses d’une harmonisation des règles. Les Pays-Bas se sont livrés à cet exercice en 2019. La demande est légitime et y donner suite améliorera l’acceptabilité des ZFE.

La mission recommande un renforcement du dispositif de soutien financier sur les territoires en dépassement des valeurs limites de pollution. Elle propose en ce sens des orientations, notamment l’augmentation du montant des aides de l’État pour les entreprises installées à proximité du périmètre et intervenant dans la ZFE. En effet, ces entreprises ne bénéficient pas actuellement des aides apportées par la collectivité mettant en place la ZFE. Ce réexamen du dispositif devrait être effectué en tenant compte de la complémentarité entre les aides de l’État et des collectivités locales.

La mission propose également d’encourager la solution économique du « rétrofit », consistant à transformer un véhicule diesel en hybride rechargeable.

Le projet de ZFE doit être défini de façon à être perçu comme équitable par le public :

  • les acteurs qui respectent les règles de la ZFE estiment injuste que ceux qui ne les respectent pas ne soient pas sanctionnés ; c’est pourquoi la mise en place d’un système de contrôle automatisé par caméra est indispensable. La plupart des pays du parangonnage ont opté pour cette solution, qui est prévue mais non encore opérationnelle en France ;
  • il est important d’expliquer que les véhicules hauts de gamme lourds sont autorisés à circuler dans une ZFE s’ils émettent peu de polluants, mais qu’ils sont financièrement pénalisés grâce au dispositif de malus.
  • Enfin, une ZFE ne pourra être acceptée que si la collectivité sait construire le récit de la ville de demain, dont la ZFE sera l’un des éléments : cette question du récit est essentielle pour replacer cette politique dans un contexte plus global, dans lequel des enjeux tels que le changement climatique, la préservation de la biodiversité ou la lutte contre les pollutions peuvent devenir les moteurs d’un nouveau développement économique, de nouveaux modes de vie et de nouvelles relations sociales.

En conclusion, dans chacun des 6 pays européens étudiés par la mission, il existe des ZFE ambitieuses et bien acceptées, par exemple à Bruxelles, Londres et Milan. Ainsi, si l’on ne devait retenir qu’un message de ce rapport, ce pourrait être celui-ci : les ZFE, c’est possible !

Les auteurs de la mission

Patrick Lambert Bernard Schwob

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