Focus sur… Politique de prévention et de lutte contre l’incendie de forêt dans un contexte d’extension et d’intensification du risque dû au changement climatique

À moyen et long termes, une accentuation très forte du risque de feu de forêts en France

Selon les modélisations climatiques les plus récentes, et en se plaçant dans une gamme de scénarios plausibles du GIEC (entre le RCP1 4.5, « pessimiste », proche de la trajectoire de référence d’adaptation au changement climatique en France, et le RCP 8.5, « très pessimiste »), le rapport interministériel, commandé par le gouvernement à l’inspection générale de l’administration (IGA), au conseil général de l’alimentation de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), et à l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), dresse un panorama très préoccupant de l’évolution du risque feux de forêt à moyen et long termes.

Tous les indicateurs se dégradent. Les projections montrent une exacerbation de la vulnérabilité au feu dans les zones qui étaient déjà particulièrement touchées, mais aussi une extension de l’aléa prenant en écharpe le Sud-Est, le Sud-Ouest, le Centre-Ouest et l’Ouest, ainsi qu’une intensification dans le Sud-Est. La sensibilité de la végétation, déjà plus marquée à l’ouest, et nettement plus sur une grande moitié sud, augmentera encore après 2050, avec la progression des territoires classés très sensibles. Ces derniers couvriraient entre 30 et 40 % de la surface totale de la végétation dans la deuxième moitié du siècle. Les études des activités de feu montrent que les surfaces brûlées des années extrêmes pourraient représenter 6,5 fois le bilan moyen de la période 2001-2020 dans le Sud-Est et jusqu’à 13 fois dans le Sud-Ouest. Elles font ressortir également un allongement important de la saison « feu » dans le Sud-Est où celle-ci pourrait s’étendre de fin mai à début octobre, comme dans le Sud-Ouest, où la saison des feux de printemps pourrait n’en faire plus qu’une seule avec celle de l’été, de mars à octobre. À cela s’ajoute une probabilité accrue de concomitance de feux de grande taille et un accroissement notable de leur puissance.

Dans ce contexte la mission appelle à un changement de paradigme, à travers une feuille de route et des propositions qu’elle présente dans les deux tomes de son rapport :

Elle appuie ses recommandations sur une consultation très large des parties prenantes et sur les études les plus récentes de l’évolution du risque feux de forêt, réalisées par Météo-France, l’ONF et INRAE.

La mission propose quatre axes clés d’action.

  • La mission recommande un effort important sur l’acculturation au risque incendie de végétation, qui passe par une meilleure coordination et une systématisation d’actions de sensibilisation percutantes auprès des différents publics, tant sur les comportements en matière de prévention, que ceux à adopter en cas de crise. Pour les mesures préventives de débroussaillement qui restent un impératif, et qui sont aujourd’hui réalisées de manière insatisfaisante, la mission fait des recommandations sur la conduite des obligations légales de débroussaillement (OLD), dont certaines ont d’ores et déjà trouvé des traductions législatives et réglementaires. La réalisation plus systématique des plans de protection de la forêt contre les incendies (PPFCI), la mise en oeuvre des procédures de classements des massifs à risque, et la déclinaison de mesures déjà ouvertes par le code forestier (mise en place d’associations syndicales autorisées de DFCI, entre autres) nécessitent de conforter au plus près du terrain les moyens d’ingénierie, en effectifs et compétences.

    Les moyens de surveillance doivent être renforcés (« réseaux sentinelles de la forêt » à organiser, soutien aux comités communaux feux de forêt ou réserves communales ou intercommunales de sécurité civile, expérimentation et déploiement des technologies de surveillance par caméras, imagerie satellitaire, drones…). La planification des moyens de lutte au sol doit être accompagnée d’un programme de formation accéléré des sapeurs-pompiers et d’un déploiement géographique des moyens aériens dans le cadre d’une programmation stratégique à élaborer. Enfin, dans une perspective de long terme, il faut se préparer dès maintenant aux probables limites capacitaires qui naîtront de la concomitance des feux, et dans ces conditions réfléchir à une méthodologie de décision dans la mobilisation des moyens de lutte, en prenant en compte la hiérarchie des enjeux

  • Les principaux champs ministériels doivent être sollicités. La mission recense les leviers d’action et propose des mesures à prendre dans les domaines de la sécurité civile, de la politique forestière (au-delà de la DFCI, il s’agit de réduire le déficit de gestion et d’exploitation d’une part importante de la forêt privée, et d’accélérer l’adaptation des forêts au changement climatique ), de la politique agricole (coupures agricoles et gestion préventive par le pastoralisme ; reconnaissance du rôle d’appui à la lutte des agriculteurs ; et mesures pour éviter l’éclosion de feux d’origine agricole), de la politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire (à travers notamment des règles de planification urbaine), des politiques de la recherche-développement-innovation, de la politique de biodiversité (prise en compte du risque incendie et des mesures de prévention) et prévision dans les documents de gestion des espaces protégés. Par ailleurs, la mission propose une meilleure articulation des réglementations en vigueur pour permettre une protection effective des espaces et espèces remarquables contre l’aléa, ou des mesures de politique judiciaire (mise en place systématique de la recherche des causes et des circonstances d’incendie, saisine des parquets par l’Etat et les collectivités en particulier…).
  • La gouvernance est l’affaire de tous les échelons nationaux et territoriaux, et ne nécessite pas en l’état d’évolutions législatives au titre des compétences ou prérogatives. Toutefois, la mission appelle à un pilotage national et à un pilotage territorial renforcés et mieux définis.

    Elle propose un mode opératoire au niveau national, pour élaborer et faire vivre une stratégie co-construite de protection des forêts contre l’incendie. Elle préconise de renforcer le niveau régional, en mobilisant l’ensemble des acteurs publics autour d’un programme d’action défini de manière contractuelle. Le niveau départemental est le niveau opérationnel par excellence de la prévention et de la lutte, où s’inscrivent des démarches plus fines, à l’échelle de massifs par exemple, à la main ou en lien avec les communes et les EPCI. La mission insiste aussi sur l’importance d’une action à l’échelle internationale. Au-delà de l’émulation que peut apporter le parangonnage des pratiques, une implication du niveau européen est indispensable car les conséquences des incendies interférent ou portent atteinte directement aux actions communautaires dans les domaines du changement climatique et de l’environnement. La mission souligne également l’importance d’inscrire les actions de prévention et de lutte dans le cadre du débat public.

    Enfin, s’il faut agir impérativement et dès aujourd’hui sur tout le territoire national, il convient de le faire de manière différenciée. La mission propose de distinguer :

    • les « territoires historiques » du Sud-Est et du Sud-Ouest déjà très sensibles au risque incendie, ils le verront s’intensifier dans les prochaines décennies, avec une extension rapide vers les territoires situés dans leur voisinage,
    • les « nouveaux territoires du feu », qui regroupent des départements de l’Ouest et Centre Ouest, jusqu’au Jura qui devront « apprendre à vivre avec le feu » ;
    • les « territoires d’extension future » qui doivent investir sans attendre pour développer l’acculturation à un risque qui, pour être encore moins marqué aujourd’hui, peut néanmoins les frapper de manière brutale et avec une probabilité croissante au fil du temps.

    La mission invite aussi à mener une réflexion spécifique sur les territoires concernés des Outre-Mer, où l’enjeu tout aussi prégnant appelle à des actions adaptées.

  • Face à la croissance du risque en intensité et en surface, les moyens consacrés à la prévention et à la lutte doivent être renforcés, diversifiés, et s’appuyer sur la mobilisation coordonnée de tous les acteurs publics (Union européenne, Etat, collectivités territoriales), mais aussi du secteur privé (mécénat, etc.).

    La mission explore la possibilité de mobiliser davantage l’assurance, pour renforcer et inciter à la prévention et à la bonne gestion. Elle fait également des propositions dans le domaine fiscal, afin de dégager des marges de manoeuvre nouvelles.
    De manière concrète et opérationnelle, la mission propose un projet de plan d’action ainsi qu’un vade-mecum, qui recense les leviers et actions à mettre en oeuvre à l’échelle territoriale.

Les auteurs de la mission

Frédéric Mortier Christophe Leuret Philippe Cannard Jean-Maurice Durand Vincent Piveteau

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