Focus sur… L’évaluation socio-économique des projets de transports

L’évaluation socioéconomique cherche, de manière générale, à mesurer la valeur d’un projet pour la collectivité. Elle analyse la rentabilité d’un investissement au-delà de son seul périmètre pour y intégrer les coûts et bénéfices de l’ensemble des parties prenantes. A cet effet, les différents bénéfices et coûts d’un projet (coût de réalisation, coûts d’exploitation, pertes ou gains de sécurité, impacts sur l’environnement, gains de temps…) sont traduits en euros pour apprécier le bénéfice global que la collectivité retirera du projet ou le coût global qu’elle supportera.

Le domaine des transports est un des secteurs de l’économie où l’investissement public est le plus important en particulier du fait des avantages non marchands que les transports procurent. Le code des transports rend obligatoire l’évaluation socioéconomique des projets d’infrastructures et de services de transport.

Pour que tous les projets soient évalués selon la même méthode, la direction générale des infrastructures, des transports et de la mobilité fixe une méthode d’évaluation . Ce référentiel est complété de "fiches-outils" qui exposent la mise en œuvre pratique des méthodes proposées. Il évolue périodiquement selon les progrès de la recherche.

Sans référentiel commun, impossible de comparer deux projets d’infrastructures entre eux.

Dans ce cadre, l’IGEDD a récemment conduit deux missions destinées à actualiser le référentiel national d’évaluation socioéconomique des projets de transport sur deux points importants : la prise en compte de l’empreinte carbone des infrastructures et l’appréciation de la valeur du temps.

Les recommandations faites par l’IGEDD ont été ou seront présentées au « comité des utilisateurs du référentiel d’évaluation des projets de transports » puis, après études complémentaires si nécessaire, ont vocation à être intégrées dans ce référentiel.

Un travail partenarial

Chacune de ces deux missions s’est appuyée sur un groupe de travail d’environ 40 personnes, représentant les milieux de la recherche, les administrations, les maîtres d’ouvrage et les ingénieries.
Les groupes de travail ont notamment constitué un état des lieux en France et à l’étranger, rassemblé et analysé les travaux de recherche, auditionné des experts.
Voir notamment Université Gustave Eiffel, Ecole nationale des ponts et chaussées, CEREMA, ADEME, LAET.

L’empreinte carbone des infrastructures de transport

Cela fait déjà plus de quinze ans que, pour évaluer un projet de transport, il est tenu compte de ses conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre (et donc sur le changement climatique), en utilisant un prix du carbone.

Mais la règle en vigueur jusqu’à présent était que, pour calculer le volume de gaz carbonique émis, il suffisait de s’intéresser aux émissions des véhicules qui circulent sur cette infrastructure, en négligeant les émissions liées à la construction et à l’entretien de l’infrastructure elle-même.
Cette règle suffisait tant que les émissions des véhicules étaient prépondérantes parmi l’ensemble des émissions des transports, mais cela ne sera plus le cas à moyen terme, lorsque les motorisations décarbonées seront prépondérantes.

Pour le ministère des transports, le temps était donc venu de modifier le référentiel pour que l’empreinte carbone des infrastructures soit désormais prise en compte.

Avec la décarbonation programmée des motorisations des véhicules, notamment routiers, les émissions dues à la construction et à l’entretien des infrastructures, longtemps négligées, vont devenir prépondérantes.

L’objet principal de cette mission consistait à produire une nouvelle fiche-outil, qui a été remise au ministère de la transition écologique moins de six mois après la réception de la commande. La méthode proposée par le groupe de travail englobe tous les modes de transport : voie ferrée, route, transports urbains, navigation fluviale, transports aérien et maritime. Elle repose sur une analyse « en cycle de vie », c’est-à-dire que l’on tient compte des gaz à effet de serre émis pour la construction de l’infrastructure, son entretien et son renouvellement.

Par ailleurs, la fiche-outil propose que soient pris en compte non seulement le carbone directement émis sur les chantiers de construction et d’entretien mais aussi celui qui a été nécessaire pour fabriquer et acheminer jusqu’au chantier les matériaux de construction comme le métal ou le ciment. C’est bien l’empreinte carbone complète qui est recherchée, même si le niveau de précision varie nécessairement selon qu’on se situe très en amont du projet ou, à l’inverse, qu’on réalise un bilan ex-post.

Le calcul de l’empreinte carbone d’une infrastructure doit inclure toutes les émissions directes et indirectes liées à sa construction et à son entretien, y compris la fabrication et le transport des matériaux utilisés et leur fin de vie.

Au-delà de la production de cette fiche-outil, le groupe de travail a mis en évidence plusieurs résultats :
Ainsi, il a fait le constat qu’il existait déjà un assez grand nombre d’outils pour chiffrer l’empreinte carbone des infrastructures de transport, développés le plus souvent par les bureaux d’ingénierie ou de grands maîtres d’ouvrages ; et que ces outils reposaient sur des méthodes parfois assez différentes. La richesse de cette matière a été très utile pour construire un référentiel commun, et a aussi confirmé l’importance d’avoir un tel référentiel si l’on voulait pouvoir sérieusement comparer deux projets entre eux.

Un autre enseignement issu du groupe de travail est qu’il était possible de réduire sensiblement les émissions carbone d’une infrastructure en modifiant sa conception, les méthodes de réalisation et/ou les provenances des matériaux : calculer l’empreinte carbone est utile pour évaluer un projet, mais aussi pour l’améliorer, aux différentes étapes de sa conception, de sa réalisation et de son entretien. Sachant que l’empreinte carbone des grands projets d’infrastructures se chiffre souvent en millions de tonnes de gaz carbonique (soit ce qu’émettent en une année plusieurs centaines de milliers de Français), cette recherche de la moindre empreinte carbone doit devenir une obligation.

Le calcul de l’empreinte carbone peut et doit être l’occasion de chercher à réduire les émissions de carbone, en optimisant la conception, les méthodes de réalisation et le choix des matériaux.

Les acteurs des travaux publics en France sont dynamiques, mais le secteur accuse un retard comparé à celui de la construction : le rapport recommande des pistes pour rattraper ce retard, notamment par la mise en place et l’actualisation permanente d’une base de données de facteurs d’émission adaptés aux activités des travaux publics.

Un exemple : la LGV Rhin-Rhône

Dès 2018, SNCF Réseau (alors RFF) avait évalué ex-post le bilan carbone d’une de ses grandes infrastructures : la phase 1 de la branche est de la LGV Rhin Rhône, reliant la Côte d’or et le Territoire de Belfort sur 148 km, et mise en service fin 2011.

Dans cette analyse très complète, l’empreinte carbone de la construction de la LGV était estimée à 1 178 000 tonnes équivalent CO2 dont 120000 tonnes pour les équipements ferroviaires (rails, caténaires et ballasts) et 7500000 tonnes pour les seuls travaux de génie civil parmi lesquels la production de chaux pour le traitement des sols représentait 280000 tonnes, le ciment et les aciers d’armature des ouvrages en béton environ 50000 tonnes chacun. Les conditions de réalisation des infrastructures (choix des matériaux et des méthodes) ont une grande influence sur l’empreinte carbone, ce qui doit inciter à rechercher des optimisations. L’étude évaluait aussi les gains annuels en émission de gaz à effet de serre résultant du transfert modal de la route vers le fer, auxquels étaient déduits notamment les émissions liées à l’entretien et l’exploitation de la ligne. Au total, cette étude concluait qu’il allait falloir 13 ans d’exploitation pour revenir à la neutralité carbone.

Avec la décarbonation du parc de véhicules routiers, ces « délais de retour » risquent de s’allonger sensiblement. Cet exemple montre la part importante, et demain souvent prépondérante, de l’empreinte carbone de la construction d’une infrastructure de transport, d’autant plus que la France s’est engagée au plan international à plafonner ses émissions annuelles de gaz à effet de serre.

La valeur du temps

En matière de transports, les gains de temps apportés par de nouvelles infrastructures ou de nouveaux services sont valorisés depuis longtemps grâce à la « valeur du temps ». Celle-ci mesure en euros la valeur d’un gain de temps (ou le coût d’une perte de temps). Elle est déterminée comme une « moyenne » sur des segments du marché des transports (par mode, par classe de distance, par motif de déplacement) en cherchant à concilier équité et cohérence avec la réalité des comportements. La valorisation de certains autres bénéfices d’un projet, confort, fiabilité… se fait également en utilisant la valeur du temps.

Ces gains liés au temps représentent aujourd’hui la plus grande partie des « bénéfices » apportés par les projets de transport, souvent de l’ordre de 70% ou plus.
Cette part parait considérable alors que de plus en plus de projets n’ont pas l’objectif de faire gagner du temps, mais plutôt de la régularité, de la fiabilité… Ceci ainsi que l’émergence de nouvelles priorités en matière de mobilités, déplacements de la vie quotidienne ou décarbonation notamment, ont conduit à la mission confiée à l’IGEDD en 2022.
De plus, la dernière actualisation de ces chiffres remontait à 2013.

La mission concernait principalement les voyageurs ; une simple démarche exploratoire était demandée sur le fret.
La mission conclut à une baisse sensible de la valeur du temps du mode ferroviaire qui traduit une meilleure attractivité (grâce notamment à une connectivité numérique accrue), et probablement (étude en cours), de la valeur du temps pour motif professionnel sur le mode routier.

Moins un trajet est pénible, plus un voyageur peut s’occuper utilement pendant le temps de parcours et moins il est prêt à « payer » pour réduire son temps de déplacement.

Sur les plus courtes distances, la valeur du temps (identique pour tous les modes) serait plutôt en hausse. La mission a conclu en faveur d’un maintien de la différenciation faite dans le référentiel entre la valeur du temps en Île-de-France et dans le reste du pays.
Elle préconise également de revoir les méthodes d’estimation de la congestion routière qui conduisent à des montants jugés excessifs, et de prendre en compte les améliorations de fréquence dans les évaluations de projets, de façon à mieux qualifier les avantages de projets visant à intensifier les services comme les services express régionaux métropolitains.

Estimer plus justement la congestion ou prendre en compte les améliorations de fréquence sont une première réponse à la demande de méthodes pour les projets qui ont d’autres bénéfices que les gains de temps.

Elle a mis au point une méthodologie d’évaluation des projets de modes actifs prenant en compte les effets favorables sur la santé et une moindre pénibilité du temps passé (de 15 à 30%) sur les pistes cyclables protégées.

Les modes actifs devraient ainsi traités en tant que tels et non comme un accessoire d’un mode motorisé.

La mission a fait un premier état des lieux sur la valeur du temps en mode « covoiturage ».
Par ailleurs la mission insiste pour faire apparaître séparément dans les évaluations les avantages liés aux gains de temps proprement dits et ceux des gains de qualité de service.

Les gains de qualité de service sont calculés en utilisant la « valeur du temps » mais ce ne sont pas des gains de temps. Il convient donc de les distinguer dans la présentation.

Elle recommande d’améliorer la cohérence entre l’analyse stratégique des projets (identification de leurs objectifs) et évaluation économique quantitative, de systématiser le recours à des cartes de l’accessibilité offerte par les projets en milieu urbain et de s’intéresser aux impacts redistributifs des projets de transport.

Elle conseille enfin de travailler à de « vraies » valeurs tutélaires en considération d’enjeux de politiques publiques, notamment écologiques (changement climatique, impacts sur la biodiversité…).

Les auteurs de la mission

Régine Brehier Vincent Motyka Michel Massoni Philippe Ayoun

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