Focus sur… Financement des conséquences du recul du trait de côte : Comment accompagner la transition des zones littorales menacées ?



La mission IGEDD–IGA avait pour objet la réalisation d’un inventaire des biens (logements, équipements et infrastructures publiques, immobilier économique) menacés par l’érosion littorale à diverses échéances, l’évaluation des enjeux financiers liés à la maitrise foncière et la recomposition spatiale du littoral, ainsi que des propositions de pistes de financement.

Ses travaux ont alimenté le Conseil National du Trait de Côte (CNTC) présidé par la députée de Gironde, Mme Panonacle. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a ouvert le CNTC du 29 Février 2024, et la mission y a présenté ses conclusions.

Cette mission intervient après de fortes attentes, notamment à la suite de la démolition d’un premier immeuble menacé (le Signal à Soulac), dans des territoires littoraux pris dans la contradiction entre un risque d’érosion important et des prix du marché immobilier très élevés, en lien avec l’attractivité croissante du littoral.

Elle s’est inscrite dans la continuité du cadre législatif et assurantiel actuel, en refusant donc tout principe général d’indemnisation, mais en recherchant un accompagnement équitable des enjeux économiques et sociaux, et la mise en place d’une maitrise foncière publique progressive.

Un constat de phénomènes évolutifs et convergents et un inventaire décisif

L’inventaire des biens menacés par l’érosion littorale a été conduit avec l’appui du Cerema, en conformité à la trajectoire d’adaptation au changement climatique (TRACC) conduisant à une température de +4 °C en moyenne en France métropolitaine en 2100. Il s’appuie sur un consensus scientifique autour de trois hypothèses cumulées : la présence renforcée de tempêtes exceptionnelles, l’élévation du niveau de la mer d’un mètre à horizon 2100, la présence des ouvrages de protection et leur maintien en état d’usage à horizon 2050.

Cet inventaire montre l’importance des ouvrages de protection, les différences d’exposition au risque des territoires et la question de la temporalité dans l’anticipation de l’érosion.

À l’échéance 2050, si les ouvrages de protection sont maintenus en bon état, les effets de l’érosion seraient relativement modérés : seuls 760 ha urbanisés seraient potentiellement érodés, 8 500 biens menacés, dont 5 200 logements évalués à un peu plus d’un milliard d’euros.

À l’échéance 2100 en revanche, la cartographie des zones basses du littoral situées sous le niveau marin actuel +1 mètre illustre la grande dépendance de certains territoires aux ouvrages de protection, et leur sensibilité aux risques de l’envahissement maritime et du débordement estuarien (ex : estuaire de la Gironde, Camargue). Ce changement d’échelle porte des enjeux d’aménagement du territoire à moyen et long termes, nationaux et régionaux, pour lesquels l’appui du Cerema et du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est nécessaire.

Les inventaires pointent également que les communes les plus impactées sont loin d’être toutes identifiées comme prioritaires pour la réalisation de cartes locales d’érosion.

Des choix à effectuer face à l’érosion : protéger ou reculer ?

Les ouvrages de protection sont au cœur des stratégies de recomposition spatiale des littoraux : protéger ou reculer ? et à quelle échéance ? Tous les élus rencontrés par la mission travaillent dans un premier temps au maintien ou au renforcement des dispositifs existants afin qu’ils assurent leur rôle de protection (gestion des milieux aquatiques et protection des inondations : GEMAPI) sur les 20 à 30 prochaines années, le temps de réaliser les éventuelles relocalisations.

Dans ce contexte, les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte (SLGITC), quasi-inexistantes à ce jour, doivent être encouragées pour définir clairement les choix politiques d’aménagement et les investissements nécessaires, à court, moyen et plus long termes.

Des règles du jeu fermes pour l’avenir : à prendre ou à laisser ?

La mission a recherché des règles du jeu fermes pour responsabiliser tous les acteurs et mieux gérer les crises à venir, associées à une approche amiable de soutien exceptionnel et non renouvelable.
Elle considère que le « laisser à la mer » n’est pas à systématiquement éviter, quand les conditions économiques de la maitrise publique sont prohibitives, notamment pour les biens menacés à moins de cinq ans.

Cette stratégie d’anticipation « à prendre ou à laisser » peut être associée à des mécanismes d’effacement progressif de la propriété du bien menacé avec, en procédure amiable, un démembrement ou un viager.

Des financements publics nationaux de l’Etat sont proposés aux collectivités territoriales pour les aider à la maîtrise foncière de la bande côtière menacée, avec un soutien financier aux acquisitions amiables des seules résidences principales occupées par leurs propriétaires. Ces soutiens seraient modulables selon la date d’acquisition et les conditions de ressources, ne dépasseraient jamais 70% de la valeur vénale du bien et seraient plafonnés à 300 K€.

Les inventaires du Cerema à horizon 2050 et le calibrage des règles d’accompagnement proposées par la mission conduisent à une évaluation du cout pour l’Etat à 250 M€ sur les 25 prochaines années.
Cette proposition laisse de côté les résidences secondaires et les résidences louées (tourisme ou logements principaux). Il est toujours loisible aux collectivités locales de s’en porter acquéreurs avant qu’elles ne soient interdites d’occupation, idéalement par la seule voie amiable, avec des propositions similaires à celles mises en œuvre dans le cas du soutien de l’Etat.

Cette stratégie est également adossée à divers leviers favorisant la prise de conscience par les marchés immobiliers des risques d’érosion, via des moyens d’information complémentaires à ceux prévus déjà par la loi « climat et résilience » (porter à connaissance systématiques, zonages ad hoc, extension de l’obligation de consignation pour démolition, actualisation de la délimitation visible du domaine public maritime).

Un besoin de stratégie à tout niveau

Le rapport insiste sur la mise en place de stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte (SLGITC) claires et connues, à bonne échelle territoriale, indiquant à différentes échéances les secteurs bénéficiant de protections et ceux qui n’en n’auront pas ou plus. Ces stratégies locales sont encore trop peu nombreuses aujourd’hui.

Elles doivent être le préalable pour orienter de manière pertinente les financements publics en matière de protection, et intégrer bien évidemment les différents risques littoraux (submersion marine, élévation du niveau de la mer, érosion, inondation) le plus souvent interdépendants.
Le rapport suggère le développement de gouvernance à l’échelle régionale associant tous les niveaux territoriaux et dotée d’une capacité d’ingénierie technique pour favoriser l’élaboration des stratégies et des projets de recomposition.

Enfin, face au manque de foncier réglementairement disponible pour l’urbanisation (autres risques, ZAN) et au peu de politique foncière de long terme, la mission suggère de dépasser la logique en silo de l’analyse des risques, de systématiser les études de repérages et de stratégies fonciers par les établissements publics fonciers (EPF) et de leur permettre des portages de long terme.

Des pistes de financements

Les financements et ressources pour soutenir les collectivités territoriales peuvent passer par des dispositifs existants, y compris pour la mesure de solidarité nationale proposée au bénéfice des propriétaires résidents.

Au vu du caractère très prospectif des cartes locales de projection du recul du trait de côte, et devant la variété des situations locales, aucun chiffrage solide ne peut être associé aux divers postes présentés, hormis pour la proposition de solidarité nationale.

Trois sources de ressources financières pour le financement du recul du trait de côte sont proposées par la mission :

  • un prélèvement additionnel sur la taxe aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans le périmètre des EPCI littoraux, au bénéfice du budget de l’Etat, être versé ensuite aux collectivités locales lors des acquisitions faites auprès des propriétaires de résidences principales ;
  • un déplafonnement de la taxe spéciale d’équipement (TSE) pour favoriser les acquisitions et le portage foncier en rétro littoral par les EPF ;
  • un financement accru des besoins de la GEMAPI, compte tenu du coût des ouvrages de protection contre l’érosion, en impliquant directement les propriétaires protégés (création d’ASA, association syndicales autorisées), en allant au plafond actuel de la taxe, voire en l’augmentant.

Les auteurs de la mission

Marie-Luce Bousseton Boris Leclerc Jean-François Landel

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