Focus sur… "Développement de la pisciculture"

Une production française atone voire en régression dans un contexte de fort développement de la pisciculture dans le monde

(vidéo, durée : 1 min 38 s)

A l’échelle mondiale, la prise de conscience de la surexploitation des stocks halieutiques et l’évolution continue de la demande de poisson ont conduit à un développement important de l’aquaculture depuis 25 ans.

En 2020, la production aquacole d’animaux d’origine aquatique est quasiment équivalente aux produits issus de la pêche. Si on écarte les mollusques et crustacés, la quantité de poissons issus de l’aquaculture a atteint 57,5 millions de tonnes, soit 42% de la production mondiale de poissons.

En France, toutes formes confondues, la pisciculture représente une production de l’ordre de 45 000 tonnes de poissons par an.

Cette production équivaut à 7,5% de la production piscicole de l’Union européenne, soit un peu moins de 1‰ de la production piscicole mondiale.

Alors qu’une activité piscicole performante et variée avait émergé dans les années 80 et 90, on constate, depuis une quinzaine d’années, une stagnation des productions piscicoles d’eau douce, hors étang, (environ 35.000 tonnes / an) et marines (5 000 ± 1 000 tonnes par an). Par contre, les ventes issues des étangs ont récemment fortement diminué pour atteindre le niveau de 3 270 tonnes en 2019.

Quelques productions phare

Les principales productions françaises sont la production d’œufs embryonnés et d’alevins (la France est le premier exportateur d’alevins en Europe), la production de caviar [la France est le troisième producteur mondial] et la production de truites.

Face à ce constat de stagnation de la production nationale, en 2011, un plan de progrès pour la pisciculture a été mis en œuvre en collaboration entre les services de l’État et les organisations professionnelles.
Si ce plan a engendré quelques avancées, il n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés. C’est pourquoi, à la demande conjointe du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, du ministre de la Transition Écologique, du Secrétaire d’État à la Mer et de la secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, le CGAAER et l’IGEDD ont mené une analyse critique des filières piscicoles françaises, dans un exercice de parangonnage avec différents pays de l’Union européenne.

L’objectif était d’identifier les solutions ou les facteurs de facilitation que les autorités d’autres pays européens ont mis en place et qui pourraient être utilisés pour lever les blocages identifiés en France

Quel développement possible pour la pisciculture française ?

De manière assez simple, le potentiel de développement de la pisciculture française peut être interrogé au regard des trois principaux piliers du développement durable.

  • La consommation de poisson est stable (24 kg / habitant / an) mais la pisciculture française représente une part marginale du poisson consommé (7 % en tonnage et 14% en valeur comparativement aux quantités de poissons commercialisées par la flotte de pêche française). La production de poisson ne satisfait pas la demande. Ainsi, en 2020, la balance commerciale française relative aux produits issus de la pêche et de l’aquaculture présentait un déficit de 4,11 Mds€. Même pour les principales espèces piscicoles produites en France (bar, daurade, carpe et, à un degré moindre, la truite), la balance commerciale affiche un solde négatif. La France dispose de certains avantages comparatifs (cf. schéma ci-dessous) et le développement de l’aquaculture est une priorité politique européenne (objectif du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture – FEAMPA 2021-2027) et nationale (réduction des importations, sécurité alimentaire, développement des territoires ruraux et littoraux, réduction de l’empreinte carbone des productions protéiques animales, fourniture croissante de produits locaux…).

    En résumé, il existe un marché pour le développement de la pisciculture en France. La situation actuelle prouve que la pisciculture française peut être compétitive au moins pour certains segments du marché (label, bio) ou certaines productions spécifiques (caviar, truite, alevins…)

  • Les impacts environnementaux de la pisciculture peuvent être de plusieurs natures :
    • Dégradation de la qualité de l’eau
    • Atteinte des milieux aquatiques (sédimentation, eutrophisation, température de l’eau…)
    • Rupture de la continuité écologique (aménagements pour les prise d’eau)
    • Impact sur d’autres ressources marines (farines animales pour l’alimentation des poissons) ou terrestres (zone d’épandage des boues).

    Ils varient selon le type et l’intensivité de la production.

    De nombreuses sources de progrès sont d’ores et déjà identifiées :

    • Réduction de la part des farines et huiles issues de poissons pêchés dans la composition des aliments (substitution par des produits végétaux : oléagineux, protéagineux… avec différents compléments possibles : insectes, micro-algues, levures…)
    • Amélioration de la qualité des rejets par une maitrise accrue de l’alimentation et par la mise en place de systèmes de filtration de l’eau
    • Installation de passe à poisson sur les cours d’eau pour permettre le franchissement des obstacles par d’autres espèces aquatiques
    • Réduction de la quantité d’eau utilisée par les pisciculture d’eau douce (eaux recirculées)
    • Système de « jachère » pour les piscicultures marines (site sans production 1 année sur 4 ou production de truite pendant 6 mois par an dans certaines zones d’estuaire), etc.

    Si de nombreux efforts ont été réalisés par les pisciculteurs pour réduire les impacts environnementaux de leurs installations, leurs capacités à intégrer les enjeux environnementaux dans la gestion piscicole restent hétérogènes et perfectibles.

    Cette vision du potentiel de développement écologique de la pisciculture peut être considérée différemment si on modifie l’angle de vue : depuis « les impacts environnementaux locaux de la production » à « l’empreinte environnementale nationale liée à la consommation de poissons ».
    En effet, à l’échelle macro, il apparaît que la consommation de poissons issus de piscicultures françaises présente des avantages et des bénéfices environnementaux par rapport aux principaux produits de substitution :

    • Par rapport aux poissons issus de la pêche : réduction de la surexploitation des stocks et des risques de disparition d’espèces, coût énergétique moindre.
    • Par rapport aux poissons importés issus de piscicultures : transport réduit, délocalisation des impacts environnementaux (avec quelquefois une accentuation des impacts du fait de pratiques moins bien maitrisées ou contrôlées…).
    • Par rapport aux autres sources de protéines animales : empreinte carbone moins importante que pour les productions animales terrestres.

    Ainsi, sous certaines conditions, le développement de la pisciculture peut constituer un moyen de réduire l’empreinte environnementale globale de la France liée à la consommation de protéines animales.

  • L’acceptation sociale de la pisciculture en France peut être qualifiée de « faible » et son développement fait face à des oppositions relativement fortes. Cette faible acceptation sociale s’explique principalement du fait des impacts environnementaux de la pisciculture confrontée à une vision éco-centrée affirmée par certaines associations environnementalistes et accentuée par le syndrome NIMBY 1. Le fait que la profession n’ait pas su (ou pu) au cours des dix dernières années se mettre en totale conformité avec la règlementation environnementale conforte cette contestation.

    La faible acceptation sociale est probablement le facteur limitant majeur pour le développement de la pisciculture. La considération du bien-être animal (production et abattage) risque de constituer un déterminant essentiel de cette acceptabilité sociale dans les prochaines années.

    Considérant les trois dimensions majeures du développement durable, il apparaît que le potentiel de développement de la pisciculture est relativement restreint. Du fait du changement climatique et de ses conséquences sur le partage de la ressource en eau, le potentiel de développement de la production piscicole est probablement plus important pour la pisciculture marine et la pisciculture d’étang que pour la pisciculture d’eau douce (par dérivation).

Quelles évolutions nécessaires pour parvenir à un développement de la pisciculture ?

  • Le développement de la pisciculture nécessite de privilégier les systèmes de production les plus vertueux d’un point de vue environnemental et du bien-être animal. Deux voies devraient être privilégiées à savoir :
    1. Les piscicultures en eaux recirculées (voie technologique) qui visent à recycler l’eau utilisée afin de maîtriser les rejets d’effluents dans l’environnement et de limiter la dépendance de la pisciculture face à cette ressource. Cette voie, d’ores et déjà privilégiée au Danemark et en Allemagne, semble prometteuse mais mériterait, du fait de son caractère énergivore, une analyse économique pour définir les espèces ou les stades de production pour lesquelles elle pourrait être rentable.
    2. Les système d’aquaculture multitrophique intégrée - AMTI (voie « fondée sur la nature ») qui consistent à reproduire un écosystème naturel en combinant l’élevage de différentes espèces complémentaires, appartenant chacune à un maillon de la chaîne alimentaire. Les rejets organiques et inorganiques produits par une espèce, dites de nourrissage, comme la truite, servent d’aliments aux algues cultivées à proximité et aux coquilles présentes naturellement. La présence de ces espèces filtreuses permet de réduire l’impact environnemental de l’élevage. Les fonds marins sont préservés et conservent leur équilibre.

    En outre, la prise en considération des facteurs d’acceptabilité sociale implique de privilégier les piscicultures avec une densité de poisson réduite 2 (bien-être animal) et d’éviter les unités de production de taille industrielle (ferme des « 1.000.000 de saumons)

  • L’accès au foncier constitue un frein majeur au développement de la pisciculture. A l’instar d’autres pays européens, différentes méthodes peuvent être développées pour identifier de nouveaux sites de production

    En Grèce, le gouvernement a fait le choix de développer une réelle planification spatiale en définissant (après identification de « zones propices » et évaluation environnementale au sens de la directive « plan et programme »), des zones allouées à la pisciculture (zones définies par un arrêté présidentiel où les autres activités ne sont pas autorisées). Par cette démarche, le gouvernement grec espère pouvoir multiplier la production piscicole par 5.

    Au Danemark, le gouvernement a développé une démarche très pragmatique consistant à définir le niveau d’accroissement souhaité pour la production piscicole (20.000 t), la taille souhaitée des unités de production (2.500 tonnes) et ensuite définir les 8 sites les mieux adaptés par rapport aux conditions de productions, aux autres activités (tourisme, nautisme…) et aux impacts environnementaux potentiels (estimés par modélisation).

    Quelle que soit la méthode retenue, une planification spatiale est nécessaire pour permettre le développement de la pisciculture. En absence de définition d’espaces réservés à la pisciculture (« dernière activité arrivée »), le développement de la pisciculture risque d’être fortement compromis.

  • Les attentes du consommateur sont évolutives. Si le prix reste son principal critère de choix, l’attrait pour les « produits locaux », l’impact environnemental ainsi que la qualité nutritionnelle ou sanitaire des produits deviennent déterminants. Plusieurs éléments pourraient permettre de renforcer la confiance du consommateur et lui donner le pouvoir d’orienter ses achats, à savoir :
    • L’affichage du Nutri-score 3,
    • L’amélioration de la communication relative à certains avantages comparatifs du poisson (il faut 2kg de protéines pour faire 1 kg de poisson alors qu’il en faut 4-5 pour produire un kg de poulet et bien davantage pour produire des ruminants ou du porc)
    • L’accroissement de la production et commercialisation de produits labellisés (poisson bio, label rouge…) qui traduisent les engagements des pisciculteurs en matière de qualité et de conditions d’élevage des poissons (démarche initiée à travers la création de la « Charte Qualité – Aquaculture de nos régions® »).
    • La promotion de l’origine « France ». Pour la pêche maritime, il existe la marque « Pavillon France ». Qu’en est-il d’une marque « Poisson de France » qui s’appliquerait également à la pisciculture ?

    De tels efforts ne peuvent avoir de sens que s’ils sont accompagnés d’une réelle politique de traçabilité, d’affichage et de contrôle de la provenance des poissons. Aujourd’hui, la précision des informations relatives à l’origine des produits et leur contrôle sont insuffisants.

  • En 2011, une « charte d’engagement pour le développement durable de l’aquaculture française » a été signée entre les organisations professionnelles et les services de l’État. Ce plan de progrès pour la pisciculture devait permettre à l’ensemble des piscicultures d’intégrer les évolutions règlementaires notamment sur les aspects sanitaires et environnementaux (débits, rejets, continuité écologique) L’analyse critique du déploiement de ce plan de progrès et des démarches initiées dans des pays européens voisins a permis d’identifier des pistes d’amélioration de la gouvernance de la filière, à savoir : Au niveau de l’administration :
    • Faire évoluer le rôle de l’État de « régulateur » à « facilitateur / accompagnateur »
    • Renforcer l’articulation entre le niveau national et les services déconcentrés de l’État
    • Au niveau régional, renforcer la coordination entre les différents services de l’État et les relations avec les Régions et créer un guichet unique au niveau régional

    Au niveau de la profession :

    • Intensifier l’intégration des enjeux environnementaux dans la gestion piscicole
    • S’investir plus fortement sur la question du bien-être animal
    • Améliorer la représentation des filières piscicoles qui restent peu visibles

Quelles priorités pour les différents types de pisciculture ?

  • La production piscicole marine est relativement marginale en France : la production nationale est équivalente à celle d’une seule ferme piscicole en Grèce

    L’ensemble des cages présentes sur la photo (unité « Andromachi », en Grèce, qui produit 4700 tonnes, principalement de bar, daurade et maigre) représentent une production quasi équivalente à la production annuelle française !
    Pour définir les zones de production, deux approches complémentaires mériteraient d’être considérées :

    • Développement de la pisciculture marine couplée à des installations de parcs éoliens en mer. Un programme de recherche européen a permis de démontrer que la valeur des productions piscicoles (saumon, moule et algue) pourrait représenter 50% du chiffre d’affaire de la production d’énergie d’une implantation offshore mixte.
    • Identification d’un nombre déterminé de sites par façade maritime. Deux sites par façade avec une capacité de production de 1 250 t permettraient de tripler la production française.

    Privilégier des systèmes de production fondés sur la nature (AMTI) devrait permettre d’améliorer l’acceptabilité sociale de ce type de pisciculture.

     !

  • Le cas de la pisciculture d’étang est relativement singulier. L’approche française très patrimoniale voire naturaliste de la gestion des plans d’eau conduit progressivement à délaisser une production ancestrale et dans certains cas à l’abandon des plans d’eau. Pourtant, la pisciculture d’étang constitue sans aucun doute le système de production piscicole le plus naturel et le moins coûteux : peu ou pas d’apport d’aliments, pas de consommation d’énergie…

    D’autre part, avec 112 000 ha d’étangs 4 sur l’Hexagone, la pisciculture d’étang a un fort potentiel de développement en France.

    Cette forme de production, qui a façonné nos paysages, doit être relancée en privilégiant des systèmes de production extensifs voire semi-extensifs. Outre les nombreuses aménités environnementales (contribution à la sauvegarde de certains milieux humides et à la préservation de la biodiversité) et sociales (services paysagers et récréatifs), les étangs fournissent des protéines animales économes en intrants et à faibles émissions de gaz à effet de serre.

    Dans les territoires à fort potentiel, des plans d’action traitant les aspects réglementaires, économiques et environnementaux pourraient d’être élaborés en lien avec les Régions. Les mesures favorables au développement de la pisciculture d’étang sont relativement bien identifiées (gestion des espèces prédatrices, gestion des vidanges des étangs, développement de produits transformés et marketing associé…).

    Toutefois, sans une vision partagée de la société quant à la place et aux rôles que jouent les étangs dans nos paysages et notre société, il est à craindre que la régression (ou au mieux la stagnation) des piscicultures d’étang se perpétue.

  • La pisciculture en eau douce constitue la principale forme de production piscicole en France. Elle concerne environ 1400 ETP 5 pour un CA 6 cumulé d’environ 180M€ et représente les ¾ de la production piscicole française. La prise en considération des enjeux environnementaux (qualité des eaux, continuité écologique…) et les évolutions probables du fait du changement climatique conduisent à repenser le modèle des piscicultures continentales.
    | Tambours pour filtration de l’eau Pisciculture Lofstrup - Danemark
    Deux modèles pourraient être promus :
    • des élevages « traditionnels » (eau dérivée avec système de filtration) avec une faible densité de poisson, orientés vers des productions de qualité et à haute valeur ajoutée.
    • des installations avec une haute technologie, de type « eaux recirculées » permettant de réduire les impacts sur l’environnement. Le couplage de ces installations avec une production d’énergie renouvelable (le coût énergétique peut représenter 30% du coût de production) ainsi qu’avec un système de valorisation des boues d’épuration par épandage ou méthanisation mériterait d’être pleinement considéré.

    Pour terminer, notons qu’aujourd’hui, une autorisation au titre de la règlementation ICPE est requise pour pouvoir exploiter un établissement produisant plus de 20 tonnes de poisson par an.

    A titre de comparaison, les règlementations grecques ou espagnoles sont basées, hors zone Natura 2000, sur un seuil de 500 tonnes /an. L’évolution des seuils étant limitée du fait du principe de non-régression, il serait pertinent que la délivrance d’une autorisation soit fondée non plus sur la quantité de poissons produite mais sur les impacts sur les milieux aquatiques, comme cela est dorénavant le cas au Danemark.

    Une telle approche permettrait de renforcer le sens de l’autorisation environnementale et d’entraîner les producteurs dans une spirale vertueuse.

Notes et références

1Not In My Back Yard

2Au Danemark, les piscicultures en eaux recirculées peuvent atteindre une densité de 150 kg de poisson par m3.

3Le Nutri-score est un système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge, établi en fonction de la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire.

4Un recensement des plans d’eau est en cours en France (IGEDD)

5ETP : Equivalent Temps Plein

6Chiffre d’Affaires

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