Note de lecture
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Lignes de front, Les Cahiers de l’Ecole de Blois, n°22, Éditions de La Villette, 2024, 143p.
Que faire du paysage dans une époque marquée par la généralisation des conflits de toutes sortes, qu’ils soient armés, sociaux, politiques ou environnementaux ? Dans quelle mesure la violence contribue-t-elle à le façonner ? Le projet de paysage peut-il constituer un vecteur d’apaisement et de réconciliation ? Ces questions sont au cœur du dernier numéro des Cahiers de l’école de Blois, revue annuelle qui accueille depuis 2003 dans ses colonnes paysagistes, étudiants, chercheurs et artistes. La quinzaine d’articles offre une intéressante mise en dialogue d’analyses paysagères de situations de violences militaires, coloniales, mais aussi entre humains et non-humains.
Les violences guerrières s’inscrivent dans des lieux qui plusieurs décennies après, en portent encore les stigmates. Différentes contributions s’intéressent ainsi à la manière dont la mémoire s’invite dans les paysages, et invitent en retour à penser ce que le psychologue et artilleur allemand Kurt Lewin appelait déjà en 1917 « un pur paysage de paix » (p. 14).
Mikael Levin, à travers une enquête photographique, cherche à retrouver les sites des révoltes peu connues voire oubliées d’esclaves afro-américains, et constate avec mélancolie que ces théâtres de la "grande histoire" sont aujourd’hui des paysages ordinaires (p.104).
De même, l’écrivaine et chercheure Luba Jurgenson se lance sur les traces quasi invisibles de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah dans les bucoliques périphéries berlinoises.
Au-delà du travail de mémoire, la démarche paysagère peut-elle contribuer à réconcilier des sociétés et des espaces meurtris par les combats ? C’est le pari de Matéo Bouchaud, étudiant de l’école du paysage de Blois parti faire son travail de fin d’étude à Beyrouth. Il propose, avec quelques étonnants croquis, une exploration matérielle et sociale de la ville. Son projet vise à interroger la mémoire locale en reconnectant deux espaces publics : la place des martyrs, emblématique de la scission de la capitale pendant la guerre (1975-1990), et le littoral nord, constitué de remblais issus des affrontements, qui devait accueillir le projet avorté de nouveau downtown, symbole de l’entrée de la ville dans la paix et la modernité.
Enfin, la notion de "ligne de front" peut aussi être abordée au sens métaphorique de l’aggravation des conflits entre l’aménagement "classique" du territoire et la préservation du vivant. Par exemple, la contribution de l’étudiante Lucie Peigneux sur les franges de l’aéroport Charles De Gaulle donne à voir une intéressante tentative de redonner une place au vivant, humain et non-humain, dans ces paysages striés d’infrastructures lourdes (aéroportuaires, routières, ferroviaires…).