Focus sur… Le devenir des déchets exportés à l’étranger par la France

Le sujet de ce rapport du CGEDD, transmis par le gouvernement au parlement dans le cadre de la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) (art.127), est à l’articulation de deux dimensions : le commerce international et l’environnement. Si les réglementations nationales, européennes et internationales l’encadrent solidement, le devenir des déchets exportés par notre pays pose des enjeux de connaissance, de traçabilité, de maîtrise des risques, de transition vers une économie circulaire et de relocalisation industrielle en France et en Europe.

Les échanges mondiaux et les exportations françaises de déchets tendent à décroître depuis 10 ans

En 2020, le commerce mondial de déchets s’élève à 178 millions de tonnes, avec une rupture de tendance en 2012, en partie du fait du début des restrictions des importations chinoises de déchets (en particulier plastiques), renforcées en 2017 puis en 2021, sans effet de report vers le reste du monde. À partir de 2012 ce commerce mondial connait ainsi une baisse de l’ordre de 4,4 millions de tonnes par an en moyenne.

Les exportations de déchets de la France (y compris les transferts vers d’autres pays européens) représentent un peu moins de 7 % de ce commerce mondial de déchets : 12 millions de tonnes de déchets industriels et ménagers exportés en 2020. Ces exportations françaises suivent la même tendance récente à la baisse que celle du commerce mondial de déchets : baisse de 28% en valeur des exportations de déchets industriels entre 2012 et 2020 ; baisse de 8% en quantité et de 18% en valeur des exportations de déchets industriels et ménagers entre 2018 et 2020.

La réglementation sur les transferts transfrontières de déchets (TTD)

En sélectionnant, dans les données douanières, les exportations réalisées sous procédure de notification ou d’information, on peut connaître les volumes de déchets exportés hors Union européenne dans le cadre de la réglementation TTD et les comparer aux volumes totaux de ces mêmes exportations. Il apparaît ainsi que certaines catégories (verre, papiers-cartons, métaux et chiffons) sont exportées dans le respect de la réglementation TTD à plus de 90%.

La réglementation apparaît, par contre, inégalement respectée selon les destinations pour les déchets plastiques, de caoutchouc, de friperie et de bois.

Certains opérateurs s’exonèrent des obligations pesant sur les TTD. Dans d’autres cas, cette apparente faille correspond au recours légal à des dispositions juridiques relatives au réemploi ou à la sortie du statut de déchet par préparation à la réutilisation.

Les transferts sous procédure de notification augmentent

De 2017 à 2020, les transferts sous notification augmentent de 30% pour atteindre 2,4 millions de tonnes. Cette croissance est portée par celle des transferts pour valorisation vers l’UE et la Suisse de déchets sans caractéristique de danger, principalement les déchets de bois, qui passent de 26 à 43% des quantités, sans qu’il soit possible de départager ce qui relève de la généralisation d’une pratique administrative ou d’une réelle croissance des transferts.
Cette croissance porte aussi celle de la part de la valorisation énergétique.
La part démesurée de ces transferts devrait être prise en compte dans la révision du Règlement européen 1013/2006.

La croissance des exportations pour valorisation hors UE et OCDE est portée par celle des déchets de caoutchouc vers le Maroc et le Sénégal.

Pour le reste, les exportations pour élimination, ou pour valorisation de déchets présentant des caractéristiques de danger baissent fortement.


Évolution 2017-2020 de la répartition des TTD soumis à notification

Évolution 2017-2020 de la répartition des transferts sous notification selon les traitements

Des évolutions et des destinations des exportations contrastées selon les types de déchets

À plus de 80% (en quantité et en valeur), les exportations françaises de déchets se concentrent sur l’Union européenne. Les autres zones de destination notable sont l’OCDE hors UE, l’Asie, l’Afrique du Nord-Proche-Orient (ANPO), avec des spécificités selon les catégories de déchets.

Les exportations françaises de déchets de caoutchouc et de déchets textiles et ménagers sont toutefois moins concentrées sur l’UE, avec une plus grande diversité de destinations.

Certains pays prennent un rôle dominant pour certains types de déchets : la Turquie pour la ferraille et les déchets de caoutchouc ; le Maroc pour les déchets de caoutchouc également ; la Tunisie, les Émirats arabes unis et le Pakistan qui se sont imposés successivement comme première destination des exportations françaises de déchets textiles.

Les évolutions mesurées sont également contrastées entre les catégories de déchets : les plus fortes baisses depuis quelques années affectent les déchets textiles, le verre, les plastiques et les déchets de l’industrie du bois.

Exportation de déchets de la France (2018-2020) par catégorie et selon les destinations

Ne pas se limiter aux déchets stricto sensu

La réglementation TTD ne s’applique qu’aux déchets. La limite entre déchets et produits n’est pas toujours claire, ni d’un point de vue juridique ni concrètement pour les exportateurs ou les professionnels qui les assistent (commissionnaires). Dans une perspective d’économie circulaire, les définitions relatives entre produits usagés pour réemploi, produits issus de statut de déchet pour réutilisation ou recyclage et déchets doivent être clarifiées, et l’ensemble mérite d’être suivi.
Les équipements électriques et électroniques (EEE) et les véhicules hors d’usage (VHU) constituent deux exemples emblématiques d’objets qui échappent en grande partie aux filières censées les prendre en charge, laissant une porte trop largement ouverte aux trafics illicites ou à des exportations insuffisamment contrôlés, sans maîtrise des risques dans les pays de destination. Ainsi, les flux sous contrôle de la filière EEE ne représentent que 6% des exportations et disparitions.

Des enjeux de traçabilité et de maîtrise des risques

Suivre et contrôler les mouvements de déchets nécessite traçabilité documentaire (papier, dématérialisée, interfaces), physique (contenant et contenu, destination et devenir final), et articulation entre les deux. Les éco-organismes, tenus d’assurer la traçabilité, ont amorcé cette maîtrise des risques à l’export, qui demande à être étendue et renforcée à travers leur cahier des charges et par un travail inter-filières animé par l’Ademe dans le contexte d’extension du domaine de la REP. Selon que la destination est un pays de l’UE ou non, les enjeux ne sont ni de même nature ni de même ampleur, l’exportation vers certains pays de l’OCDE s’avérant porteuse de risques. A la faveur de la révision en cours de la réglementation européenne, des audits indépendants des installations dans les pays tiers doivent permettre de garantir une équivalence de traitement des déchets avec les conditions prévalant en Europe.

Des enjeux de développement durable

Alors que plus de 2 milliards de tonnes de déchets sont générés par an dans le monde, leur commerce doit obéir à la démarche hiérarchisée : prévention, réutilisation, recyclage, valorisation, élimination. Les impacts sanitaires, environnementaux, sociaux et économiques de l’exportation dans des pays en développement ne disposant pas des moyens pour traiter leurs propres déchets sont très néfastes.

Or, dans la logique d’économie circulaire, le potentiel de création d’emplois d’une approche intégrée « zéro déchet » est réel, aussi bien au Nord qu’au Sud, tandis que l’éco-conception des produits, l’incorporation de matières premières secondaires ou la récupération de métaux rares sont bénéfiques en termes environnementaux, économiques et de souveraineté. La Loi AGEC et le Pacte vert européen invitent à relocaliser les chaînes de valeur industrielles, évolution que l’ensemble des interlocuteurs de la mission appellent de leurs vœux.

En conclusion, le cadre réglementaire national, européen et international, couplé à l’implication des services de contrôle, permet que l’exportation légale des déchets par les entreprises françaises se déroule dans des conditions globalement respectueuses de la santé et de l’environnement.

Cependant les écarts d’interprétation ou de pratique, ainsi que la fragilité de l’état de droit dans certains pays entraînent des failles mises à profit par le crime organisé auquel résistent fonctionnaires, journalistes, membres d’ONG, entrepreneurs…

La révision des réglementations permet à la France d’œuvrer en faveur d’améliorations décisives dans les prochaines années.

Tel est le sens des recommandations du rapport "Le devenir des déchets exportés à l’étranger par la France"

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